Comment empêcher le transit parasite

Mark Wagenbuur de Bicycle Dutch nous fait découvrir la manière dont les pouvoirs publics aux Pays-Bas arrivent à décourager l’usage de la voiture et donc à favoriser les déplacements à vélo.
Voici la traduction de son billet publié le 15 décembre 2015 sous le titre « How to prevent rat running » sur Bicycle Dutch.

Les bornes ont une mauvaise réputation. On les considère dangereuses pour les cyclistes et de fait beaucoup de personnes se blessent en les heurtant. Les bornes ont cependant des atouts. Elles permettent de contrôler la densité de circulation dans les zones urbaines et périurbaines. Elles empêchent le « trafic de raccourci ou transit parasite»1 et améliorent la sécurité des déplacements à pied et à vélo. Elles améliorent aussi la qualité de vie dans les zones contrôlées, encore plus quand elles sont escamotables.

Les cyclistes passent très facilement le long des bornes. Il y a toutefois des personnes qui les heurtent. Ce qui provoque des blessures et des dégâts aux bornes et aux véhicules.

Les bornes escamotables permettent de diviser la ville en secteurs, des zones auxquelles accèdent uniquement les riverains où les personnes qui y travaillent. Éliminer la circulation de transit est une très bonne mesure pour améliorer la qualité de vie dans une zone habitée. Cela permet aussi de rendre un quartier commerçant plus agréable à fréquenter. Quasiment toutes les bornes peuvent être abaissées (à l’aide d’une clé en général) pour laisser passer les services d’urgence.

Quand les bornes sont automatisées, la manœuvre est très simple. Ce type de bornes est très adapté au filtrage de la circulation. Le plus souvent pour laisser passer les bus, mais aussi les riverains ou les personnes munies d’autorisation, de manière rapide et aisée. La circulation transit ne passe pas ce type de borne, ce qui au final laisse en place une faible proportion de la circulation motorisée. Un seul véhicule à la fois peut passer une borne. La borne remonte après le passage du véhicule même si un autre attend de passer derrière. Ce qui n’est pas sans conséquence comme on le verra plus loin.

Filtrer la circulation via des bornes n’est pas le propre des Pays-Bas (même le Royaume-Uni équipe certaines rues selon ce principe2) même si son usage est beaucoup plus développé que dans tout autre pays dans le monde.

Au lieu de créer des culs-de-sac, les barrières en diagonale permettent de créer des boucles. La zone ainsi délimitée est toujours accessible à la circulation mais selon des itinéraires bien définis.

Une forme particulièrement ingénieuse de partiteur est celle dite « en diagonale » (diagonal traffic diverter) au niveau des carrefours à quatre branches. Elle permet de créer deux boucles. La circulation motorisée est redirigées vers une seule des rues adjacentes. Continuer tout droit ou tourner dans la direction opposée est rendu impossible : les bornes placées en diagonale sur le carrefour empêchent ces manœuvres. Ce n’est pas spécifiquement néerlandais, on en trouve un exemple à Portland dans l’Oregon.

La barrière en diagonale présentée sur la carte d’Utrecht ci-dessus. Les bornes peuvent être abaissées par les services d’urgence et les personnes munies d’un pass.

Ces boucles permettent de créer des zones compartimentées. On sait que cette politique de « compartimentation » a été appliquée à Groningue dès les années 1970, et à Houten, dont la conception s’est basée sur ce principe. Beaucoup de grandes et petites villes aux Pays-Bas ont depuis appliqué cette politique avec succès3. Combinée à une limitation de vitesse à 30 km/h, elle créé des quartiers au trafic si bien apaisé que d’autres mesures – bien plus coûteuses – pour promouvoir la marche et le vélo ne sont plus nécessaires.

La division en diagonale abordée dans la photo précédente présentée dans un contexte plus large. La zone, longée par un petite rue de distribution (en vert) et une voie de chemin de fer, est divisée en 5 secteurs.
Chacun de ces 5 secteurs ne peut être atteint que depuis la rue distributrice. Aucun secteur ne peut être atteint directement depuis un autre secteur.
L’automobiliste doit d’abord retourner sur la rue distributrice. La plupart de ces petites rues résidentielles sont à sens unique et à double-sens pour les vélos.

Le principe de perméabilité limitée (filtered permeability) est aussi mis en œuvre en dehors des zones denses. Les bornes peuvent être utilisées à la campagne pour réguler la circulation. On peut ainsi laisser les plus petites routes sans aménagement cyclable en site propre, parce que le volume de trafic motorisé est maintenu faible. En particulier quand la limitation de vitesse est maintenue assez basse (en général 60 km/h en dehors des zones résidentielles), mêler vélos et voitures n’est pas trop risqué.

Une borne escamotable à la campagne filtre la circulation. On peut atteindre de faibles volumes de circulation en n’autorisant l’accès qu’aux riverains, mais il existe d’autres solutions. Une borne près de Bois-le-Duc met 45 secondes à s’abaisser au passage de chaque véhicule. Ce n’est pas trop long si vous êtes le seul automobiliste à attendre, un feu rouge pouvant durer aussi longtemps. Mais si vous êtes dans une file de 4 ou 5 voitures à l’heure de pointe le matin, ça peut devenir très pénible. Ce temps d’attente est suffisamment long pour rendre le détour par une route principale plus profitable que d’essayer ce raccourci sur une petite route de campagne. Si bien qu’au final seuls les gens qui ont réellement besoin de passer par là le font.
« Un seul véhicule par feu vert. Temps d’attente par véhicule de 45 secondes. » Et ce n’est pas du chiqué…

Comme rappelé en introduction, les bornes présentent des inconvénients. Beaucoup de personnes à vélo les heurtent et se blessent. Tout comme les automobilistes du reste. Il en résulte d’importants coûts de réparation pour remettre les bornes escamotables en bon état de fonctionnement. On trouve sur YouTube beaucoup de vidéo de personnes dont la voiture a été sérieusement endommagée quand une borne les a « projetées » en remontant.

La décision d’abaisser toutes les « pyramides » de Bois-le-Duc a fait couler beaucoup d’encre dans la presse.
Après les plaintes d’habitants, la ville a changé ses plans et parle désormais d’ « expérimentation » sur une année.

Dans ma ville de Bois-le-Duc où les premières bornes automatiques – en forme de pyramide – ont été installées en 1994, le système coûtait en maintenance 250 000 euros par an pour quelque chose comme douze bornes. En moyenne un véhicule entrait en collision avec une de ces bornes par mois, d’où ces coûts élevés. Et même si certaines de ces pyramides ont été remplacées par des bornes standards, plus résistantes aux collisions, les coût de maintenance sont restés élevés. C’est pourquoi Bois-le-Duc va essayer de se passer de ces bornes automatiques. A compter du 1er janvier 2016 toutes les bornes escamotables seront bloquées en position basse. Si le test est un succès (au sens où les véhicules non autorisés n’en profitent pas pour passer quand même) cela représenterait une économie de 100 000 euros par an rien qu’en frais de maintenance. Les riverains n’étaient pas emballés à l’annonce de cette expérimentation. Ils craignent de retrouver à nouveau des voitures en train de tourner en rond dans leur quartier, ce qui signifierait la fin de la zone apaisée. Mais dans la mesure où il ne s’agit que d’un test sur une année, ils ont dit d’accord. Peut-être que ça va fonctionner4. Quand les Pays-Bas ont décidé de faire quelque chose contre le stationnement sur les trottoirs, le pays s’est hérissé de potelets dans les années 1980. Il n’y en a plus aujourd’hui. Une génération d’automobilistes a pris l’habitude de ne plus stationner sur les trottoirs et cette habitude est restée même sans potelets. Ils ont été formés. Les potelets ont lentement été retirés partout. Espérons que c’est un processus similaire qui aura lieu en matière de respect des zones fermées au trafic de transit.

Les bornes escamotables ont été remplacées par ce panneau et une caméra à Leeuwarden (photo Leeuwarder Courant).

Si ce n’est pas le cas, il existe une autre façon d’empêcher les véhicules non autorisés d’entrer dans une telle zone. Leeuwarden l’a mise en place dans une rue où seuls les bus ont le droit de circuler. La ville a remplacé des bornes par une caméra. Cette caméra à lecture automatisée de plaques d’immatriculation se charge d’envoyer des contraventions à tout conducteur qui entrerait illégalement dans la rue. S’agit-il d’une alternative viable aux bornes escamotables trop souvent endommagées et donc chères ? C’est un sujet de débat. En un an, Leeuwarden a détecté 5732 véhicules entrant illégalement dans la rue, soit une moyenne d’un véhicule par heure en journée. Tous les conducteurs ont reçu une contravention de 140 euros, mais l’idée était avant tout de ne pas les voir circuler dans cette zone.

La vidéo de la semaine :

Comment empêcher le transit parasite : vidéo de Bicycle Dutch 

D’autres alternatives – qui fonctionnent – sont les ponts et tunnels étroits composés d’une seule voie dede circulation. La voie est utilisée alternativement dans un sens puis dans un autre avec une régulation par feu. Les temps d’attente sont proches de ceux qu’on rencontre avec les bornes qui s’abaissent toutes les 45 secondes, et cela suffit à détourner la circulation de transit.

En résumé, les bornes peuvent utilement servir à filtrer la circulation motorisée dans une zone donnée mais elles ont des défauts et ne sont pas la seule solution. C’est ainsi que les Néerlandais continuent d’expérimenter d’autres techniques pour rester un pays habitable.