La sécurité durable néerlandaise
Les Suédois ont inventé le concept de vision zéro, largement repris dans les pays anglo-saxons, la Suisse l’a adapté en Via Sicura. Les Néerlandais ont développé la sécurité durable dès les années 90. C’est ce qui a permis notamment de créer les zones 30 à l’échelle du pays et a a conduit à la mise en place de nombreux aménagements novateurs. La troisième édition de la vision sécurité durable couvre les années 2018 – 2030.
Analyse de la politique néerlandaise de « sécurité durable » par Mark Wagenbuur (ici pour la version originale en anglais de janvier 2021) sur le site de Bicycle dutch, elle est traduite par Jeanne à vélo.
La sécurité durable est l’une des pierres angulaires de la politique néerlandaise de sécurité routière. Son but ultime est de rendre la circulation routière si sûre que tout le monde puisse rentrer chez lui en toute sécurité. Non seulement les personnes valides ou les conducteurs dans des véhicules protégés, mais aussi tous les usagers de la route – l’écolier, le navetteur, le conducteur professionnel et la personne âgée active, qu’ils marchent, fassent du vélo ou participent à la circulation de toute autre manière. Jeanne à vélo déjà publié des articles sur le sujet en 2012 et en 2017,
Définition de la sécurité durable
Dans un système de circulation routière durablement sûr …
- la route et le véhicule vous protègent, ainsi que ceux qui vous entourent, contre les principaux dangers de la circulation
- les professionnels de la circulation travaillent ensemble et se contrôlent mutuellement afin d’obtenir un résultat aussi sûr que possible
- la route est destinée à faciliter la circulation ou l’échange entre les véhicules, mais pas les deux
- chaque enfant peut se rendre à l’école à pied ou à vélo en toute sécurité, grâce à une bonne planification du quartier, à un aménagement sûr de la route, à des vitesses sûres et à une protection physique suffisante …
- l’usager de la rue âgé comprend comment le système de circulation est censé fonctionner et peut donc agir en toute sécurité dans les situations de circulation
- le gouvernement accepte la responsabilité ultime d’un système de circulation sans accident
- l’insécurité et la responsabilité de chaque partie en la matière sont reconnues et traitées selon une approche fondée sur le risque
- tous les accidents mortels font l’objet d’une enquête pour déterminer pourquoi les choses tournent toujours mal.
(extrait de « Sustainable safety 3e édition the vision 2018 – 2030 »
Analyse de la sécurité durable
L’Institut néerlandais de recherche sur la sécurité routière (SWOV) a publié en 2018 3rd edition of the Sustainable Safety – The advanced vision for 2018-2030. Le rapport décrit ce que le SWOV appelle « le dernier recalibrage de cette projection ». Les politiques ont été élaborées et mises en œuvre pour la première fois dans les années 1990 et actualisées en 2005/2006, en s’appuyant sur le retour d’expérience de cette première mise en œuvre. Dans la 3e version, la terminologie a été mise à jour et les cinq principes originaux ont été regroupés en deux grandes catégories. Dans mon premier billet sur le sujet, j’ai énuméré ces cinq principes originaux comme suit :
Principes de Sustainable Safety (2005-2018):
- Fonctionnalité (des routes)
- Homogénéité (masse, vitesse et sens de direction des usagers de la route)
- Prévisibilité (du tracé de la route et du comportement des usagers de la route par une conception reconnaissable de la route)
- Droit à l’erreur (aussi bien du côté de l’espace public que des usagers de la route)
- Prise en compte de l’environnement (par l’usager de la route)
Depuis la mise à jour de 2018, les cinq principes ont été reformulés et classés en deux grandes catégories :
Trois principes de conception :
- Fonctionnalité des routes ;
- (Bio)mécanique : limiter les différences de vitesse, de direction, de masse et de taille, et offrir aux usagers de la route une protection appropriée ;
- Psychologie : aligner la conception de l’environnement routier sur les compétences des usagers de la route.
Deux principes d’organisation :
- Répartir efficacement les responsabilités ;
- Apprendre et innover dans le système de circulation.
Cela ne signifie pas que les concepts précédemment explicites de prévisibilité, de droit à l’erreur et de prise en compte de l’environnement ont été abandonnés, ils appartiennent désormais au cadre plus large de (bio)mécanique et de psychologie des usagers de la route.
Sur un site web dédié (en anglais), le SWOV explique les changements comme suit :
- En ce qui concerne les principes de conception, les modes de déplacement vulnérables (piétons et cyclistes en particulier) et la compétence des usagers de la route âgés constituent désormais la norme la plus explicite.
- La troisième version de la Sustainable Safety accorde une plus grande attention aux accidents de cyclistes n’impliquant pas de véhicules motorisés. [accidents impliquant un seul véhicule]
- La responsabilité est associée fortement au rôle et aux actions potentielles des diverses parties prenantes dans la réalisation d’un système de circulation intrinsèquement sûr.
- La troisième version de la Sustainable Safety préconise une analyse approfondie de tous les accidents de la route mortels afin de tirer les leçons des problèmes qui subsistent.
- En outre, cette troisième version préconise une approche proactive et fondée sur le risque, en utilisant à la fois les statistiques d’accidents et les indicateurs de performance en matière de sécurité routière (ou tout autre mesure de substitution) comme indicateurs de sécurité et comme base d’action.
La « répartition des responsabilités » ne définit pas seulement quelle autorité doit déterminer à quoi sert un espace et le concevoir en conséquence ; elle porte également sur le comportement souhaité des différents groupes d’usagers de la route. Les conducteurs de gros véhicules sont censés agir de manière plus responsable qu’un enfant qui se rend à l’école à pied ou à vélo, en fonction du danger que représentent leurs véhicules et de leur compétence et expérience. C’est en gros ce qu’est la responsabilité sans faute (strict liability).
Dans un système de circulation routière durablement sûr, selon le point de vue néerlandais, tout est fait pour réaliser une circulation aussi sûre que possible. En gardant à l’esprit les principes reformulés ci-dessus, l’approche est la suivante :
- Éliminer : idéalement, les situations dangereuses sont rendues physiquement impossibles afin que les gens ne se retrouvent pas dans de telles situations.
- Réduire : le nombre de situations dangereuses est limité et certains modes de transport routier sont rendus inintéressants pour limiter l’exposition des personnes aux risques.
- Atténuer : lorsque les personnes sont exposées à des risques, leurs conséquences devraient être atténuées autant que possible en prenant des mesures d’atténuation appropriées.
Il n’est pas trop tôt pour accorder une attention particulière aux usagers de la route les plus vulnérables, car les nouvelles récentes indiquent que la sécurité routière ne va pas toujours dans la bonne direction.
« L’année dernière [2019], 21 400 personnes ont été gravement blessées. Ce nombre a augmenté en particulier pour le vélo – 66% de tous les blessés graves l’ont été à vélo. Il est à noter que dans 8 cas sur 10, aucun véhicule à moteur n’a été impliqué. En outre, de nombreuses personnes gravement blessées ont plus de 60 ans. Le nombre de blessés parmi les usagers de la route âgés ne cesse d’augmenter, selon SWOV ».
Le SWOV relève également que – même plus de 25 ans après la mise en oeuvre de ces politiques – il y a encore beaucoup de zones 30 qui n’ont pas été conçues pour cette vitesse. Dans une zone 30 bien conçue, il est physiquement impossible de rouler plus vite. Les statistiques d’accidents montrent que cela est possible dans beaucoup de ces zones. Un grand nombre des quartiers les plus dangereux des Pays-Bas se trouvent également dans les centres historiques des villes. Cela n’est pas seulement dû à des contraintes d’espace. Il existe des exigences de conception pour ces environnements historiques, comme les pavés, qui rendent la circulation moins sûre pour certains usagers de la route. Les centres sont aussi généralement les zones les plus fréquentées des villes. Un professeur de l’université de technologie de Delft, Bert van Wee, propose une solution radicale (pour les autres pays également). Selon lui, les gestionnaires de voirie « pourraient envisager de rendre ces zones inaccessibles à la circulation automobile ».
Le SWOV demande lui-même instamment de prendre des mesures immédiates et à grande échelle :
« concevoir des espaces selon les principes de sécurité durable – y compris les aménagements cyclables sécurisés, mais continuer à les faire respecter ».
La dernière version de la sécurité durable est encore plus axée sur la prévention et la conception d’un système sûr qu’auparavant, mais elle ne s’arrête pas là. Un nouveau projet a également été lancé en collaboration avec l’organisation responsable de nombreux manuels néerlandais de conception des routes, le CROW. Ce « Plan stratégique pour la sécurité routière 2030« , dont le sous-titre est « la sécurité de porte à porte », adopte une approche encore plus globale, notamment en ce qui concerne l’analyse des risques (de comportement et de situation). Ceci est expliqué dans une fiche d’information (en néerlandais uniquement). Les principes de sécurité durable – actualisés – font toujours partie intégrante de ce nouveau projet, mais ils montrent que les politiques de sécurité routière aux Pays-Bas continuent d’évoluer.
Reprise de ce document
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Avec mention des auteurs : Mark Wagenbluur – Bicycle Dutch (version originale anglaise) et Jeanne à vélo pour la traduction française.