Renaturer la ville
Méthode, exemples et préconisation
La renaturation des milieux urbains représente un défi majeur, que ce soit pour mettre en œuvre une stratégie zéro artificialisation nette sur son territoire ou rendre nos villes plus perméables au vivant, plus végétalisées et plus agréables à vivre.
La méthode présentée dans ce guide a pour objectif d’aider les collectivités à identifier des zones de renaturation prioritaires en s’appuyant sur un triple objectif de reconquête de la biodiversité, d’adaptation au changement climatique et d’amélioration de la santé et du cadre de vie.
Les lecteurs y trouveront de nombreux retours d’expérience ainsi que des clés de lecture pour mettre en œuvre leur projet de renaturation sur des bases scientifiques.
Renaturer la ville n’est pas une simple mise au vert. C’est s’engager dans la construction d’une relation nouvelle avec le monde qui nous entoure, radicalement différente de celle qui a prévalu jusqu’à présent. Ce document nous montre, avec beaucoup de clarté, un chemin possible.
Luc Abbadie, Professeur d’écologie à Sorbonne Université
La renaturation : de quoi parle-t-on ?
Le terme de renaturation englobe de multiples approches et visions dont les termes sont en perpétuelle évolution au sein de la communauté scientifique (Grandin et Barra, 2020). Ce mot « valise », dont il serait vain de donner une définition unique et consensuelle, renvoie à l’idée générale d’un « retour à l’état naturel ou semi-naturel des écosystèmes qui ont été dégradés, endommagés ou détruits par les activités humaines » (Aronson, 2004). Historiquement associé à la remise en état des espaces naturels dégradés, ce concept gagne du terrain en milieu urbain depuis l’introduction en France du zéro artificialisation nette (ZAN). Il reste sujet à différentes interprétations en fonction des acteurs, qu’ils ou elles soient écologues, aménageurs, urbanistes ou paysagistes. Aussi, il parait essentiel de revenir sur l’origine de cette notion et sur les différentes approches qu’elle recouvre.
En ville, la renaturation peut prendre des formes extrêmement variées. Parfois confondue avec la désimperméabilisation (qui consiste uniquement à redonner une perméabilité à la couche superficielle du sol), elle implique un retour à la pleine terre et à la fonctionnalité écologique. Les aménagements hors-sols comme les toitures végétalisées, les potagers urbains en bacs, les espaces végétalisés sur dalle, les murs végétalisés modulaires, etc – qui peuvent participer à une meilleure gestion des eaux pluviales – ne rentrent pas dans la catégorie des espaces renaturés.
Le réensauvegement : un concept qui gagne du terrain
En France, l’idée d’un réensauvagement est notamment défendue et mise en œuvre par l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) dans la Réserve de Vie Sauvage de 490 hectares au sein du Parc naturel du Vercors [2], ou encore récemment par l’association Francis Hallé pour la forêt primaire, impliquée dans un projet de réensauvagement de 70000 hectares dans le massif des Vosges [3].
Fondée en 2021, la Coordination Libre Evolution, qui réunit 4 associations de protection de la nature, plaide pour l’atteinte de 10% d’espaces protégés en libre évolution en France métropolitaine d’ici 2030 [4]. Spécia- listes du réensauvagement des territoires, les naturalistes Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet ont publié L’Europe réensauvagée. Vers un nouveau monde (Actes Sud, 2020), un essai qui démontre, expériences à l’appui, l’intérêt de ces espaces sauvages pour restaurer la biodiversité. Dans un article portant sur les limites écologiques à l’échelle de la planète (planetary boundaries), des chercheurs préconisent de restaurer 23,9 millions de km2, soit 18,1% de la biosphère, pour préserver l’intégrité de la biodiversité et les fonctionnalités qui lui sont associées (DeClerck et al, 2021).
Enfin, selon Edward O. Wilson, scientifique mondialement reconnu pour ses travaux sur la biodiversité, il faudrait laisser la moitié de la planète à l’état sauvage pour enrayer l’extinction de masse du vivant. En France, les espaces faisant l’objet d’une «protection forte », soit l’ensemble des surfaces classées en aires protégées réglementaires (réserves naturelles, cœurs de parcs nationaux, ré- serves biologiques, arrêtés de protection) ne représentaient que 1,8% du territoire national en 2019 [5]. Ce chiffre tombe à 0,59 % pour l’Île-de-France [6].
Les fiches : une simple réserve foncière ?
Récemment, plusieurs dispositifs de recen- sement ou d’évaluation des friches ont vu le jour, à l’instar de l’outil Cartofriches (Ce- rema) [7] ou du guide Bénéfriches (ADEME) [8]. En Île-de-France, une étude de L’Institut Paris Region a permis de recenser plus de 2 700 friches, soit près de 4 200 ha, sur l’en- semble du territoire. Ces travaux visent à aider les collectivités à imaginer plusieurs usages pour les friches, en particulier leur contribution au renouvellement urbain.
Or, bien que certaines friches constituent un gisement opportun pour la densification, comme celles fortement artificialisées, d’autres sont devenues des espaces de na- ture à part entière abritant une biodiversité riche. D’autres enfin sont les derniers espoirs de recréer des espaces de nature dans des secteurs fortement urbanisés.
Une meilleure connaissance des friches, notamment au travers d’inventaires écologiques préalables, s’avère donc indispensable en amont de toute intervention ou planification. Encore trop facilement considérées comme des « espaces en attente d’être aménagés », la reconnaissance de leur statut d’espace de nature est à envisager dans le cadre d’une politique ambitieuse de renaturation des territoires. De même, tout projet de requalification des friches, aussi « vert » soit-il (transformation en parcs, jardins, agriculture urbaine, etc.), peut conduire in fine à la destruction du patrimoine naturel présent et à une diminution des potentialités écologiques de ces espaces, dont la libre évolution et l’absence de gestion garantissent une richesse biologique importante.
Les forêts « Miyawaki »
En quelques années, les projets de micro-forêts urbaines dites « Miyawaki » se sont multipliés un peu partout en Europe. La méthode consiste à réaliser des plantations denses de diverses essences d’arbres (3 à 7 au m2), sur une surface généralement inférieure à 1 hectare. Elles s’inspirent à l’origine des dynamiques spontanées observées dans les forêts. S’appuyant sur un discours bien rodé qui relève davantage du slogan électoral que de la science, ces nouvelles forêts « pousseraient 10 fois plus vite », « accueilleraient 20 fois plus de biodiversité » et seraient « 30 fois plus denses » que les forêts naturelles [11]. Elles suscitent un véritable engouement auprès des municipalités ainsi que des citoyens et citoyennes.
Proposées comme une solution miracle pour la biodiversité ou le rafraichissement urbain, elles font néanmoins l’objet de critiques de la part de la communauté scientifique. Concernant la den- sité de plantation « 30 fois plus forte », l’une des rares études effectuées en Europe sur le sujet fait état d’une mortalité allant de 61 à 84 % (Schirone et al, 2011). Par ailleurs, au-delà des ressources que cette méthode exige (arrosage, arrachage des plants non désirés), la sélection des plants ne se
fait qu’en fonction de leur compétitivité, et non en fonction de leur résilience, notamment face aux épisodes de sécheresse.
Si ce type d’opération peut avoir sa place dans la panoplie des actions liées à la nature en ville, il ne peut être standardisé. L’opération doit s’ancrer dans le contexte local, et peut de ce fait prendre des formes variées : haies champêtres, bosquets, extension d’une forêt relictuelle, ou simplement laisser se développer des boisements urbains sauvages, qui ne nécessitent aucune intervention humaine et ne coûtent rien (Génot, 2021). Il est nécessaire de garder à l‘esprit que la biodiversité ne se mesure pas au nombre d’arbres plantés à toute vitesse. Une forêt mature nécessite un sol forestier ancien, se développe sur le temps long (plus de 200 ans) et accueille le maximum de sa biodiversité (lichens, champignons, insectes) aux stades âgés et sénescents (Génot, 2020). Enfin, l’état initial du sol revêt une dimension importante : un sol en mauvais état ou pollué peut contraindre le développement des végétaux. Dans le cas où la renaturation est précédée d’une désimperméabilisation, on ne saurait oublier l’importance de la succession végétale, en particulier de l’implantation des plantes pionnières et leur rôle dans la préparation et la restauration des sols dégradés (voir p. 88).
Désimperméabilisation n’est pasrenaturation
La renaturation est parfois confondue avec la désimperméabilisation, qui consiste unique- ment à redonner une perméabilité à la couche superficielle du sol, souvent grâce au recours à des revêtements poreux et drainants. Elle est un préalable indispensable mais insuffisant à la restauration des fonctions écologiques du sol. L’usage de revêtements perméables s’est par- ticulièrement développé ces dernières années, parfois au détriment de la pleine terre (cours d’écoles, pieds d’arbres). Leur usage doit se limi- ter à la voirie ou aux zones de stationnement dont l’usage est incompatible avec une végétalisation pérenne.
Les systèmes de gestion alternative des eaux pluviales ont encouragé les villes à désimperméabiliser et végétaliser certains sites de manière partielle, le plus souvent à travers des aména- gements paysagers (noues végétalisées, jardins inondables). Si plusieurs études confirment l’in- térêt de ces dispositifs pour la biodiversité, ils peuvent toutefois être améliorés dans leur conception comme leur entretien pour favoriser le vivant et le retour à la pleine terre (ARB idF, 2020), via d’éventuelles actions de restructuration des sols (décompactage, création des horizons, amendements, etc.). Les aménagements hors-sols (toitures végétalisées, potagers urbains en bacs, espaces végétalisés sur dalle, murs végétalisés modulaires, etc.), qui peuvent participer à une meilleure gestion des eaux pluviales, ne rentrent pas dans la catégorie des espaces renaturés.
Les revêtements drainants, bitumes perméables, pavés non jointés, dont l’utilité est légitime sur certaines surfaces pour améliorer la gestion des eaux pluviales, ne correspondent pas à de la renaturation.
Synthèse
Les crises du climat et de la biodiversité auxquelles nous devons faire face ne sont pas une fatalité et peuvent être enrayées. Elles nous invitent, plus que jamais, à repenser collectivement nos modes de vie, ainsi que le fonctionnement et la conception de nos villes. Jusqu’à présent, l’urbanisation a fait la part belle à la minéralité, consommant les sols pour les recouvrir de voiries ou de bâtis. En France, le rythme moyen d’artifi- cialisation s’élève à 27 638 hectares par an sur la période 2009-2019 (Bocquet, 2021). Cette dynamique insoutenable appelle à des réformes structurelles, aussi bien pour ralentir l’étalement urbain que pour réparer les erreurs du passé. Un nouveau pacte entre la nature et la ville semble possible à condition d’imaginer des modes d’aménagement plus frugaux, d’améliorer la protection des écosystèmes et d’accélérer la renaturation des milieux dégradés, artificialisés, voire imperméabilisés.
De nombreuses métropoles sont d’ores et déjà confrontées à la surdensité et à la minéralité. L’imaginaire des métropoles compactes et de la densification est au- jourd’hui réinterrogé au profit des petites villes et des villes moyennes (Faburel et al, 2021). Si 75 % de la population française vit dans des zones urbaines, une grande majorité plébiscite un retour de la nature en ville, notamment pour améliorer le cadre de vie. Les bénéfices de la nature en ville ne sont plus à démontrer, que ce soit en matière d’adaptation au changement climatique (gestion de l’eau, rafraichissement), de santé publique (qualité de l’air, offre en espaces récréatifs) ou de support pour de nombreuses espèces dont l’abondance a fortement décliné ces dernières années. Ces différents constats viennent appuyer une nouvelle fois le besoin de renaturer les milieux urbains.
L’ingénierie écologique et les recherches en restauration écologique ont permis d’accumuler une somme conséquente de connaissances et expertises mobilisables afin d’amorcer la désartificialisation des villes. Comme en témoignent de nombreux projets, la renaturation des sols minéralisés a déjà fait ses preuves et nous offre des retours d’expérience dont il est possible de s’inspirer. Cependant, la mise en œuvre de travaux de restauration écologique en milieu urbain reste relativement récente. Ce guide a vocation à diffuser les connaissances en la matière, aider les collectivités à élaborer une stratégie et susciter le partage et l’expérimentation.
La renaturation est aussi une invitation à retisser des liens entre les différents ac- teurs et usagers de la ville qui demeurent encore trop ténus. Urbanistes, aménageurs, élus, techniciens doivent plus que jamais s’appuyer sur les écologues et naturalistes pour repenser la ville de demain et amorcer une renaturation capable d’apporter des réponses écologiques et climatiques. La conception de la ville doit également s’ouvrir à sa population, qu’il est primordial de replacer au cœur des politiques de la ville. Convaincre, rendre acceptable, se réapproprier le domaine public, multiplier les ambassadeurs, être inventif, sont autant d’intentions qui peuvent venir motiver la participation des citoyens pour renaturer nos villes.
Source :
Renaturer les villes : méthode, exemples et préconisations Guide de 130 pages de l’Agence régionale de la biodiversité en Ile de France (Institut Paris Région) 2022 ARB-idF_-_Renaturer_les_villes