L’expression « tout automobile » désigne une période où les politiques de transport ont donné la priorité à la voiture individuelle en toutes circconstances au détriment des autres modes de déplacement. Apparue dans les années 1970 en réaction aux excès de cette politique, elle est souvent utilisée comme un slogan critiquealors qu’elle peut être considérée comme un concept analytique qui rend bien compte de ce qui s’est passé.

Utrecht NL : une autre vision de la ville.
Le Vredenburg est la piste cyclable la plus fréquentée des Pays-Bas avec 33 000 cyclistes par jour. C’est également l’axe bus majeur vers la gare Centrale et la plus grande station vélo au monde. Les voitures particulières sont interdites sur cette rue, vous n’y verrez que des cyclistes, des piétons, de nombreux bus et le taxi très occasionnel. La Ville veut en réduire la fréquentation (Rue de l’Avenir). Photo prise en durant les vacances scolaires d’été, la fréquentation était donc relativement faible.

« La ville sans voiture n’est est pas une utopie, c’est simplement un retour à l’essence même de la ville : un lieu de rencontres, d’échanges et de vie commune. »
Jan Gehl

L’essor et les limites du modèle automobile

Entre 1950 et 1975, l’Europe connaît une croissance rapide du parc automobile, perçue comme un symbole de liberté et de modernité. Cependant, dès les années 1960, des critiques émergent, soulignant que 30 % de la population ne peut accéder à la voiture en raison de handicaps ou de revenus insuffisants. Face à cette exclusion et aux problèmes urbains croissants, la nécessité de réhabiliter les transports publics se fait sentir.

Dans les années 1970, la crise énergétique de 1974, la contestation à l’égard de l’envahissement automobile grandit. L’expression « tout automobile » apparaît alors pour dénoncer les dégâts engendrés par cette déferlante,s’inspirant d’autres formules comme « tout nucléaire » ou « tout pétrole ». Elle est utilisée pour la première fois en 1976 par le géographe Michel Phlipponneau dans son étude sur l’urbanisme de Rennes.

Une remise en question progressive

À partir de 1975, les politiques évoluent :

  • Développement des réseaux ferrés : lancement du RER en Île-de-France, construction des métros à Lyon, Marseille et Lille.
  • Retour du tramway en France avec le concours Cavaillé en 1975.
  • Maintien et développement des réseaux de trams en Suisse alémanique et poursuite de l’électrification du réseau ferroviaire national suisse
  • Critiques académiques et politiques : des chercheurs et élus dénoncent l’omniprésence de la voiture et plaident pour des alternatives plus équilibrées.

Le tram d’Angers (Rue de l’Avenir)

Vers un modèle plus diversifié

Depuis son apparition, l’expression « tout automobile » est devenue un outil de dénonciation utilisé dans les débats sur la mobilité urbaine. Son usage met en lumière les limites du modèle automobile dominant et justifie les politiques de transport visant à réduire ses externalités négatives et à promouvoir des alternatives durables, comme les transports en commun et la mobilité active.

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La remise en cause progressive du « tout automobile »

L’essor de l’automobile au XXe siècle a suscité un enthousiasme massif, mais aussi des contestations croissantes face à ses nuisances. L’histoire de cette remise en cause s’articule en trois grandes phases, marquées par une opposition progressive à la domination de la voiture dans l’espace urbain.

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1. La protection des quartiers (1920-1970)

Au départ, les critiques ne visaient que la tranquillité locale, sans remettre en cause l’automobile en général. Dès les années 1920, des urbanistes conçoivent des espaces résidentiels protégés, sans circulation de transit, comme les « unités de voisinage » aux États-Unis ou la séparation stricte des flux à Radburn (New Jersey) ou encore imaginent des enceintes sans circulation de transit (Londres, 1942).

Les années 1950-1970 voient l’apparition des zones piétonnes (Rotterdam, 1953) et des premières zones à trafic limité (ZTL) (Italie, 1965). L’objectif est d’améliorer la sécurité et la qualité de vie locale, mais sans bouleverser l’organisation globale de la circulation.

Parme, les trois ZTL du centre-ville avec contrôle électroniwue par caméra, entourées d’une dizaine de « zones d’importance urbanistique » avec restriction de stationnement et d’accès, permettent de reduire fortement la circulation au centre-ville et dans les quartiers résidentiels. Des espaces piétons judicuesement placés emêche le transit parasute.  (Source ville de Parme)

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Cœur battant de Parme, la Piazza Garibaldi est le point central de Parme, et le lieu d’activités civiques et de rassemblement de la population.
Tous les samedis et dimanches, le centre de Parme est interdit à la circulation automobile

« La vraie liberté de déplacement en ville n’est pas d’aller vite, mais d’aller partout. »
Carlos Moreno, expert en urbanisme

2. La protection des centres-villes et des zones denses (1960-1980)

À partir des années 1960, la contestation s’élargit : il ne s’agit plus seulement de protéger certains quartiers, mais d’empêcher la voiture d’envahir les centres-villes. Des mouvements citoyens s’opposent aux projets d’autoroutes urbaines, comme à New York (Greenwich Village) ou Paris (plan Lafay, voies sur berge).

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Certaines infrastructures sont construites malgré les contestations (autoroutes urbaines à Lyon, Marseille, Lille…), mais d’autres sont abandonnées sous la pression populaire. Ce mouvement entraîne le développement de voies de contournement pour éloigner la circulation des zones densément peuplées.

3. La généralisation des restrictions et la modération de la circulation (depuis 1980)

À partir des années 1980, les politiques urbaines privilégient une approche plus systématique :

La Haye, filtre modal, entre deux quartiers d’habitation, qui empêche le transit

Gand, filtre modal qui empêche le passage d’une zone à l’autre. Une large panoplie de mesures : sens unique, interdiction de circuler, contrôle par caméra, obstacles physiques restreignent fortement la circulation motorisée (Rue de l’Avenir).

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Filtres modaux dans notre photothèque

Filtres modaux aux Pays-Bas (53 photos), à Amsterdam (20), à  Bruxelles (64), à  Gand (24), à Louvain (34)

Un déplacement du problème vers la périphérie

Si ces mesures ont transformé les centres-villes, elles ont parfois simplement reporté la circulation en périphérie, où de nouvelles infrastructures routières continuent d’être développées (rocades, contournements autoroutiers). Certains plaident pour un équilibre entre voiture et transports publics, mais le débat reste ouvert sur la réduction réelle de la circulation automobile et son impact sur l’aménagement du territoire.

« Nous avons construit des villes pour les voitures et obtenu des embouteillages. Construisons des villes pour les humains, nous obtiendrons de la vie. »
Enrique Peñalosa, ancien maire de Bogotá

La protection de la planète et la remise en cause globale de l’automobile

Depuis les années 2000, la critique de l’automobile ne se limite plus à repousser la circulation hors des villes, mais vise à réduire son usage global pour des raisons environnementales. Face à l’urgence climatique, à l’épuisement des ressources et à la destruction des écosystèmes, des solutions autrefois acceptées sont désormais contestées.

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1. Opposition aux nouvelles infrastructures routières

Les citoyens suisses ont refusé l’extension des autoroutes le 24 novembre 2024

Les projets d’autoroutes et voies rapides, même en périphérie, suscitent une forte opposition. Par exemple, le Grand contournement ouest de Strasbourg est critiqué pour ses impacts écologiques, malgré qu’il soit présenté comme une solution pour améliorer la circulation urbaine.

2. Contestation des générateurs de circulation

Les grands centres commerciaux, comme le projet EuropaCity près de Paris, sont critiqués pour leur impact sur l’urbanisation et la circulation automobile. L’abandon du projet en 2019 illustre la montée en puissance de ces revendications. De même, les parcs relais, bien que favorisant l’usage des transports publics, sont critiqués pour encourager l’étalement urbain et occuper des espaces pouvant être mieux utilisés.

« Une ville où l’on entend les oiseaux chanter est une ville qui a retrouvé son équilibre. »
Anne Hidalgo

3. Nouvelles revendications en périphérie urbaine

Les périphéries commencent à adopter des mesures favorisant une mobilité plus douce :

  • Création de trottoirs sécurisés pour les enfants.
  • Suppression de places de stationnement au profit de terrasses et espaces publics.
  • Extension des zones 30, comme à Grenoble, où 45 communes ont limité la vitesse en 2016.

Colloque de Rue de l’Avenir France à Nantes

30 km/h à dans l’agglomération de Grenoble Alpes – Métropole

4. Vers une transformation des véhicules eux-mêmes

Certains appellent à une réduction drastique du poids et de la vitesse des voitures, arguant que des véhicules plus légers ou des vélos suffiraient pour la majorité des trajets urbains.La promotion des solutions low-tech, plus économes en ressources, s’oppose aux technologies complexes, telles que les voitures autonomes.

Une critique plus globale, mais difficile à concrétiser

Cette remise en cause systémique de l’automobile, bien plus cohérente que les critiques locales du passé, nécessite une action à grande échelle pour être réellement efficace. Cependant, elle se heurte à des résistances, tant politiques qu’économiques, qui freinent une transformation rapide du modèle automobile.

Le verre à moitié plein

🚗 Genève : un parc automobile en baisse

Avec 214 290 véhicules immatriculés en septembre 2024, le parc automobile genevois diminue pour la huitième année consécutive (-0,3 % en un an). Si la baisse reste modérée (7 467 voitures de moins depuis 2016), elle prend une autre dimension face à l’augmentation de la population (+34 522 habitants sur la même période)

Résultat : le taux de motorisation continue de reculer, passant de 448 voitures pour 1 000 habitants en 2016 à 405 en 2024. Genève, n’est devancé que Bâle-Ville avec 328/1000 (chiffres 2023).
Celui-ci est passé de 520 voitures pour 1000 habitants depuis le pic enregistré en 2002, à 405 en 2024. Soit une baisse de 22% en deux décennies.
43 % des ménages de la ville de Genève ne possèdent pas de voiture

Source : Freepik

Le verre à moitié vide

Les véhicules provenant de l’extérieur du canton de Genève continue d’augmenter. En effet, la part des actifs résidant à Genève par rapport aux emplois disponibles est d’environ 57  % (238 000 actifs résidant pour 420 000 emplois).

La remise en cause du tout automobile – Synthèse

Selon une analyse de janvier 2023, la douane de Thônex-Vallard a enregistré une baisse moyenne de 27 % du nombre de véhicules par jour entre 2019 et l’automne 2022. Cette diminution est attribuée au report modal vers le Léman Express et le tram 17 reliant Genève à Annemasse, ainsi qu’à l’adoption accrue du télétravail.

L’histoire de l’avènement et de la contestation du tout automobile reste en grande partie à écrire, notamment en France, où seuls quelques spécialistes de la mobilité ont exploré certaines archives. Les travaux existants se concentrent sur des cas spécifiques ou sur des alternatives, comme les transports publics.

Depuis les premières oppositions dans les années 1920 aux États-Unis, souvent motivées par des intérêts individuels et qualifiées de NIMBY (Not In My Backyard, « pas dans mon jardin »), la contestation s’est élargie. Dans les années 1960, elle s’est transformée en un rejet à l’échelle urbaine (« pas dans ma ville »), et aujourd’hui en une prise de conscience mondiale (« pas sur ma planète »). Si certains opposants restent animés par des préoccupations locales, les actions des ONG ne peuvent être réduites à cela.

Les nuisances de l’automobile constituent un enjeu majeur et controversé, leur prise de conscience alimentant la mobilisation. Tenter d’en dresser un diagnostic est souvent perçu comme une attaque par les défenseurs de l’automobile, alors qu’il s’agit d’évaluer objectivement ses externalités négatives. La complexité du sujet, notamment le caractère systémique des nuisances, est encore peu explorée.

Sortir du tout automobile implique une nouvelle hiérarchie des modes de transport, privilégiant d’abord les piétons, puis les cyclistes, les usagers des transports publics et enfin les automobilistes. L’objectif est d’instaurer un partage plus équitable de l’espace urbain, ce qui rend la transition aussi essentielle que difficile.

Synthèse et illustrations de l’article de Frédéric Héran (Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques) par Alain Rouiller, avec l’aide de ChatGPT. 

Source : 

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