Le drame de la mort de Paul, cycliste de 27 ans tué par un automobiliste sur une voie cyclable à Paris le 15 octobre dernier, est revenu questionner la place de la voiture en ville. Au nom de la transition écologique et de la santé publique, la tendance est déjà, depuis quelques années, à la limitation de la place de la voiture. Les maires, toutefois, se montrent souvent frileux, de crainte que la mesure soit considérée comme impopulaire par leur électorat. Cela tient pourtant de l’idée reçue.
Piétonnisation de l’espace public, limitation de vitesse à 30 km/h en ville, zones à faibles émissions, politiques de stationnement plus ou moins restrictives… les mesures visant à encadrer l’utilisation de la voiture sont à l’ordre du jour, tant dans les politiques locales que dans le débat médiatique.
Celles-ci répondent à différents objectifs politiques et sociaux : transition écologique, amélioration du cadre de vie, santé publique… Aujourd’hui, le défi n’est plus de convaincre les citoyens des raisons pour lesquelles nous devrions réduire la place de la voiture en ville, mais de savoir comment s’y prendre.
Or, bien souvent, la crainte de mouvements de protestation très vifs tétanise les élus et se traduit par un recul sur la mise en place de telles mesures ou une diminution de leur niveau d’ambition.
Déjà en 1999, un sondage avait comparé l’opinion des citoyens avec celle des maires sur des enjeux de mobilité. À la question « à votre avis, faut-il limiter l’usage de la voiture, afin d’améliorer la circulation en ville ? », les maires et citoyens interrogés présentaient la même propension à vouloir limiter la place de la voiture en ville (respectivement 68 % et 72 %). Cependant, les maires prêtaient à leurs administrés une opinion plus nuancée, voire défavorable sur ce sujet puisqu’ils estimaient que seuls 27 % d’entre eux y étaient favorables…
Un résultat qui pointait déjà le décalage entre l’opinion réelle des citoyens et celle perçue par les maires, et venait remettre en cause l’idée reçue selon laquelle de telles mesures sont nécessairement impopulaires.
25 ans plus tard, les projets d’encadrement, voire de réduction, de la place de voiture en ville restent-ils une épine dans le pied de nos élus ? C’est la question à laquelle a voulu répondre l’étude sur l’ « Acceptabilité des mesures de réduction de la place de la voiture » réalisée par 6t-bureau de recherche, pour l’ADEME.
Une opinion publique globalement favorable
Sur les huit dernières années, 12 sondages ont été menés sur ces questions, sur des échantillons de plus de 1000 personnes représentatifs de la population ciblée (méthode des quotas), dont les résultats et la méthodologie sont en accès libre.
Ces sondages montrent que les opinions sont majoritairement en faveur de la plupart des mesures proposées, mais que l’adhésion dépend surtout de la nature de celles-ci.
Si la piétonnisation est systématiquement plébiscitée (de 55 % à 79 % en fonction des sondages), les ZFE ou la réduction de la vitesse suscitent des réactions plus nuancées (de 35 % à 66 % d’adhésion). Quant à la réduction du stationnement, elle reste la seule mesure à être encore rejetée (23 à 31 % d’adhésion).
Plusieurs référendums locaux ont été menés ces dernières années et montrent des résultats similaires à ceux des sondages :
- 67 % des habitants du Kremlin-Bicêtre se sont exprimés pour le 30 km/h en ville en 2022,
- Ils étaient 69 % à La Courneuve en 2021,
- de même, Charleville-Mézières a interrogé sa population en 2021 sur un nouveau « schéma des mobilités », comprenant des mesures fortes telles que le 30 km/h, la création de nombreuses pistes cyclables, ou encore une plus forte régulation du stationnement : la population a voté « oui » à 56 %.
Ces différentes sources montrent que les mesures de réduction de la place de la voiture en ville sont généralement bien accueillies par les populations locales.
Voir également : « No parking, no business » en centre-ville : un mythe à déconstruire
Des mesures plébiscitées dans les grandes villes lors des élections municipales de 2020
L’idée selon laquelle les mesures de réduction de la place de la voiture en ville comportent un grand risque politique est également mise à mal par les résultats des élections municipales 2020.
Les programmes des cinq principaux candidats aux élections municipales des 11 plus grandes villes de France (Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Nice, Paris, Rennes, Strasbourg, Toulouse) avaient été recensés et synthétisés par l’Institut Montaigne en 2020. De fait, l’analyse des programmes de ces 56 candidats a montré qu’encadrer la place de la voiture en ville est entré dans les mœurs en politique. Lui redonner de la place, au contraire, est devenu marginal.
Au total, 170 mesures en lien avec la place de la voiture en ville ont été recensées dans les programmes de ces candidats. 83 % visaient à réduire la place de la voiture en ville. Les candidats victorieux proposaient tous des mesures de réduction de la place de la voiture, tandis que les 17 % de propositions visant à accorder une plus grande place à la voiture étaient tous mentionnés dans des programmes non victorieux.
Depuis 2020, les candidats victorieux ont pu mettre en œuvre la majorité des mesures qu’ils proposaient pour réduire la place de la voiture. Sur les quarante propositions des programmes victorieux, seules cinq n’avaient pas encore été mises en œuvre en juin 2024. Les 36 autres mesures avaient été réalisées ou étaient en cours de réalisation.
Cet exemple montre que non seulement l’encadrement de la place de la voiture en ville n’est pas un frein électoral, mais aussi que ce sont des projets qui peuvent être facilement mis en œuvre à l’échelle d’un mandat municipal.
De Lyon à Brest, des mesures qui finissent par convaincre
Si le contexte actuel semble favorable à la mise en œuvre de mesures de réduction de la place de la voiture, cela n’a pas toujours été le cas. Le temps est un facteur important dans l’implémentation de ce type de politique. En effet, la façon dont une mesure est perçue va changer au fur et à mesure de sa généralisation. Une mesure initialement impopulaire pourra devenir populaire quelques années plus tard, lorsqu’elle se concrétisera et que ses effets positifs deviendront visibles.
Ainsi, la congestion dans la Presqu’île a amené l’association d’entreprises locales Cœur de Lyon à demander la mise en place du stationnement payant. Les résultats du référendum organisé au sein de l’association étaient éloquents : 450 votes pour le stationnement payant et seulement deux contre.
De la même manière, les Brestois s’étaient exprimés à 80 % contre le tramway lors d’un référendum local organisé en 1990. Aujourd’hui, le tramway, qui a fini par voir le jour, compte près de 30 000 utilisateurs chaque jour, avec une nouvelle ligne est en projet.
Le temps et l’évolution des mentalités ne sont pas les seuls facteurs qui sont intervenus dans la réussite de cette mesure : entre 1990 et la mise en service du tramway en 2012, le projet a fait l’objet d’une concertation longue (plus de 5 ans). Il a aussi été associé à des mesures de valorisation de l’espace public, de piétonnisation mais aussi de végétalisation.
Si les élus ne peuvent pas attendre d’une mesure restrictive qu’elle soit populaire avant sa mise en place, le temps reste souvent leur meilleur allié pour que celle-ci puisse démontrer son efficacité.
Lire également : Mobilité : et si on remettait le piéton au milieu du village ?
Qu’est-ce qu’une « bonne mesure » ?
Dans un contexte de plus en plus favorable à la réduction de la place de la voiture en ville, il faut que les mesures proposées soient acceptables, voire désirables.
La dépendance automobile individuelle et territoriale continue de conditionner le degré de contrainte perçu par les citoyens. Ainsi, créer des solutions alternatives (développer des alternatives comme la marche, le vélo ou les transports collectifs, favoriser l’émergence de services de proximité et leur accessibilité…) est essentiel pour accompagner la mise en œuvre de la mesure restrictive.
De même, il est utile de construire un récit positif en montrant en quoi ces mesures permettent, une fois mises en place, d’améliorer concrètement le cadre de vie. À ce titre, la méthode de l’expérimentation est utile pour familiariser les citoyens à une nouvelle mesure, à l’image des « coronapistes » du Covid devenues par la suite des pistes cyclables pérennes après leur appropriation par les usagers. Elle laisse également le temps aux individus concernés de déployer des stratégies d’adaptation satisfaisantes, et aux pouvoirs publics de réorienter l’action si nécessaire.
Enfin, l’implication citoyenne à toutes les étapes du projet est un facteur clé de succès : consultation citoyenne, participation des associations et corps intermédiaires, dialogue, discussion et débat, voire référendum local… Il faut créer l’opportunité d’entendre tout autant les opposants que les soutiens, généralement plus silencieux.
Au fond, l’acceptabilité des mesures de réduction de la place de la voiture souligne l’importance de revivifier la démocratie locale et de donner davantage de place aux citoyens dans la prise de décisions sur les évolutions de leur ville.
Auteur-es
Source : The Conversation
Pour aller plus loin
- Acceptabilité des mesures de réductionde la place de la voiture en ville. Rapport pdf de 85 pages 6T-Bureau de recherche pour l’Ademe, 2024
- Acceptabilité des mesures de réductionde la place de la voiture en ville. Synthèse pdf de 20 pages 6T-Bureau de recherche pour l’Ademe, 2024pdf