Nous reprenons un article de l’hebdomadaire électronique gratuit Domaine public, qui fait le point sur les travaux en cours en Suisse.

Difficile d’anticiper le rôle et les effets de la voiture sans conducteur sur la mobilité de demain, tant sont nombreuses les incertitudes aussi bien technologiques, juridiques que sociétales. Ces incertitudes ont incité la Confédération et les villes suisses à réfléchir à leurs responsabilités pour intégrer les véhicules autonomes dans leur politique de la mobilité.

Fin 2016, la Confédération, répondant à un postulat, a livré un premier rapport. Rédigé par l’Office fédéral des routes (OFROU), il indique que les véhicules automatisés et connectés permettront d’améliorer la sécurité de la circulation routière, de fluidifier le trafic et de mieux exploiter les capacités. Le rapport met l’accent sur les routes nationales. Il ignore les réseaux secondaires et les transports publics. L’étude Utilisation de véhicules automatisés au quotidien, menée par l’Union des Villes Suisses (UVS) et de nombreux acteurs publics et privés, se révèle plus intéressante. A remarquer qu’aucun partenaire romand n’a participé à l’étude. Elle fait l’objet d’un premier rapport. Une deuxième phase est en cours, dont les résultats sont annoncés pour fin 2018.

Les incertitudes technologiques

Selon ce rapport, «les véhicules automatisés disposent du potentiel pour modifier fondamentalement la mobilité à l’avenir». Le développement technique est bien avancé, mais il n’est pas prévisible dans le temps. De nombreux systèmes d’assistance au conducteur fonctionnent déjà au quotidien (freinage, stationnement, régulateur de vitesse, maintien de la trajectoire). Mais de là à passer à une conduite complètement automatique, il y a là un pas qui est loin d’être franchi. Le développement dans le temps n’est pas prévisible. On parle d’échéances de 20 à 30 ans. Ce pas est d’ailleurs jugé comme impossible à franchir par deux professeurs de l’Université de Lausanne.

Selon Dominique Bourg et Sophie Swaton, «la promesse de la voiture autonome n’engage que ceux qui veulent y croire». Ils estiment que le véhicule autonome ne pourra pas tenir ses promesses technologiques. Car il exige des investissements énormes pour créer les réseaux de gestion centralisée des informations et des systèmes de voirie dédiés, impliquant un dédoublement du système actuel pour assurer la sécurité dans le trafic. Le trafic mixte représente le défi majeur, aussi bien entre véhicules à différents degrés d’automatisation qu’entre véhicules automatisés, piétons et cyclistes.

Pour les auteurs de l’étude de l’UVS, «l’utilisation de véhicules automatisés pourrait réalistement se développer en Suisse», mais son développement sera largement conditionné, particulièrement pour ce qui est du trafic individuel, par les progrès réalisés à l’étranger, dans la course de vitesse entre les géants du web et les constructeurs de véhicules, soucieux de contrôler ce nouveau marché. Il devrait s’imposer d’abord sur les autoroutes, puis dans les espaces urbains. En tant que système fermé, les autoroutes offrent des perspectives d’application plus simples et plus rapides que dans un système à trafic multiple.

Les auteurs de l’étude estiment que la Suisse peut, par contre, faire œuvre de pionnier dans le trafic ferroviaire. Le passage à l’automatisation est moins complexe que pour le trafic motorisé individuel. Les véhicules parcourent des lignes fixes, ils sont déjà aujourd’hui intégrés dans des systèmes de contrôle organisés. Mais la rapidité avec laquelle l’automatisation s’imposera dépendra des générations de véhicules, le matériel roulant restant longtemps en service. Actuellement, les trains sans conducteur sont en service sur des lignes isolées et clairement délimitées dans l’espace (DP 2189).

Navette autonome Sion CarPostal

Navette autonome de Car Postal dans la zone de rencontre de Sion (photo Car postal)

Un droit à adapter

Le développement de la voiture autonome implique d’importants changements juridiques. Aujourd’hui, la conduite complètement automatisée est interdite en Suisse, sauf autorisation spéciale. Ces autorisations sont limitées à des tronçons d’essai, par exemple pour les minibus sans conducteur. On en compte près d’une dizaine déjà en service ou en cours de test.

La Convention de Vienne qui définit les standards minimaux pour le trafic routier transfrontalier devra être adaptée. Il en ira de même en Suisse pour les procédures d’immatriculation des nouveaux véhicules, pour la signalisation lumineuse et pour le marquage des routes. Une législation sera nécessaire pour le matériel et les logiciels adaptés aux centres de gestion du trafic pour garantir la communication de véhicule à véhicule, avec les signaux de l’infrastructure ou pour l’accès aux centres de contrôle. Des bases juridiques claires pour clarifier les responsabilités en cas d’accidents. Aujourd’hui, la loi fédérale sur la circulation routière exige que tout véhicule ait un conducteur qui soit constamment maître de son véhicule.

Les responsabilités des acteurs publics

Les villes suisses veulent clairement anticiper leurs responsabilités et préserver leur marge de manœuvre face aux nouveaux enjeux de la voiture autonome. Car elle est, comme l’affirme Vincent Kaufmann, «un objet ambivalent: suivant ce que l’on en fait, elle peut être très bénéfique ou au contraire très problématique» pour la mobilité de demain. Un triple enjeu se présente aux pouvoirs publics.

Premier enjeu: faut-il penser la voiture autonome comme mode de transport individuel ou collectif? Si la voiture autonome est simplement une voiture individuelle capable de se déplacer toute seule, on n’aura pas résolu les problèmes de trafic sur nos routes. Si par contre, elle est conçue comme moyen de transport en commun, elle pourrait contribuer à la solution des problèmes d’engorgement dus au trafic individuel. Deuxième enjeu: complémentarité ou concurrence entre voiture autonome et transports publics? Si la première devient concurrente des transports publics, notamment du train, elle pourrait s’avérer dévastatrice. Pensée de manière complémentaire, elle peut permettre d’accroître l’attractivité de l’ensemble du système de transports collectifs.

Exploitées par des grandes entreprises multinationales, par des régies publiques ou sur un mode associatif, la voiture autonome change radicalement la mission de service public proposée. C’est le troisième enjeu. Ce choix doit être pensé avant qu’Uber n’impose son modèle d’affaires pour l’exploitation de la voiture autonome dans nos villes.

A l’origine des importants investissements pour les aménagements routiers et les systèmes d’informations géographiques nécessaires à la voiture autonome, les pouvoirs publics sont en situation de privilégier leurs choix. Il leur appartient également de mettre en place les nouvelles législations. Autant d’opportunités qui doivent permettre au secteur public d’imposer les règles du jeu et de faire ainsi de la voiture autonome un atout d’une mobilité coordonnée.

Pour conclure, on notera que la Fondation pour l’évaluation des choix technologiques vient de mettre au concours une étude Véhicules autonomes: mesures à prendre et possibilités d’action en Suisse. Cette étude interdisciplinaire doit évaluer les chances et les risques de la conduite connectée et automatisée, en tenant compte des aspects politiques, juridiques, économiques, technologiques, sociaux et éthiques. Elle permettra de définir la marge de manœuvre de la Suisse ainsi que les mesures que l’Etat doit et peut prendre. Programme ambitieux dont les résultats seront annoncés d’ici fin 2019.

Michel Rey, DP

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Véhicule autonome de Car Postal à Sion