Alors que le 30 km/h (zones 30 et axes 30 km/h) se généralisent dans les villes suisses et européennes, son efficacité n’est plus à démontrer. Réduction du bruit, amélioration de la qualité de l’air, sécurité renforcée pour les piétons et les cyclistes : les bénéfices sont largement documentés. Pourtant, ces avancées suscitent une opposition croissante de la part des partis conservateurs, en Suisse comme à l’étranger.

Versoix /GE): mise à 30 km/h de la route de Suisse dans la traversée de la ville, élargissements des trottoirs, plantation, variété des situations de mixité piétons – cyclistes (Rue de l’Avenir)
Le nouveau numéro du bulletin Rue de l’Avenir 1/2025 – « Axes principaux à 30 km/h » met en lumière cette tension grandissante.
Les bases scientifiques et politiques de ces mesures sont solides :
- L’Office fédéral de l’environnement (OFEV) recommande explicitement d’agir à la source du bruit routier, notamment par la réduction de la vitesse. Lire notre page de dcumentation avec les documents d el’OFEV
- Le Bureau de prévention des accidents (BPA) préconise depuis 2023 un modèle « 30/50 » : 30 km/h dans les zones habitées, y compris sur certains tronçons du réseau principal, même en cas de trafic soutenu. Ce sont précisément sur ces axes que les accidents sont les plus fréquents.
- L’OMS (Déclaration de Stockholm) et les Nations Unies (résolution de l’assemblée générale du 31 août 2020) appellent les collectivités à privilégier le 30 km/h partout où cohabitent piétons et cyclistes, dans toutes les zones urbaines ou villageoises.
Les communes suisses s’inscrivent dans cette dynamique. En introduisant des limitations de vitesse ciblées, elles affirment que la qualité de vie et la sécurité des habitant·e·s doivent primer sur les impératifs de fluidité automobile.
Voir nos dossiers
- Villes et pays à 30
- Bruit rouier et 30 km/h
- 30 km/h sur des axes structurants
- Évolution de la jurisprudence à Genève
- A Sumvigt dans le cantons des Grisons, le TF exige une limitation à 30 km/h sur la route principale
- Zone 30 à Bâle: une bonne expertise résiste à l’ACS et à l’OFROU
- Documentation et avis de droit
- Le 30 km/h est demandé ou recommandé par de très nombreux organismes
La Basse-Saxe teste le 30 sur des axes principaux : des résultats probants
Six axes principaux très différents ont été limités à 30 km/h pendant trois ans. Le projet pilote montre des effets positifs sur la fluidité de la circulation , la pollution et la sécurité.
En Basse-Saxe, un projet pilote a expérimenté la limitation de vitesse à 30 km/h sur six axes routiers très divers, y compris des routes principales à forte circulation . Les résultats sont clairs : malgré les craintes initiales, le ralentissement n’a pas entraîné de congestion. Au contraire, la circulation est devenu plus fluide, avec moins de temps d’attente aux feux et carrefours.
Sur le plan environnemental, les bénéfices sont également notables. Les émissions polluantes et les nuisances sonores ont diminué, contribuant à une nette amélioration du cadre de vie le long des axes concernés. En matière de sécurité routière, si le nombre total d’accidents n’a pas connu de baisse spectaculaire, les accidents graves ont nettement reculé.
Ce projet, qui a volontairement ciblé des contextes variés (zones denses, traversées de localités, proximité d’écoles), fournit une base solide pour une extension à d’autres territoires. Fort de ces résultats, le gouvernement de Basse-Saxe envisage de porter le débat au niveau fédéral, en demandant au gouvernement fédéral de faciliter l’introduction du 30 km/h de manière généralisée, y compris sur les routes principales
Source: télévision NDR de Basse-Saxe

Le 30 km/h au musée de Buxtehude (Basse-Saxe). La Basse-Saxe était déjà en pointe il y a 45 ans !
Buxtehude a été la première ville d’Europe à tester la généralisation du 30 km/h y compris des collectrices, en 1983 déjà (Rue de l’Avenir)
Une minorité bruyante, mais influente
Face à ces avancées, une opposition politique structurée s’organise. En Suisse, le PLR (Parti libéral radical) – soutenu par l’UDC – a choisi de faire du combat contre le 30 km/h un axe stratégique, multipliant les initiatives à tous les niveaux : pétitions, motions communales et cantonales, projets de loi cantonaux, initiatives cantonales et recours juridiques. Malgré quelques succès ponctuels, ces démarches n’ont pas entamé la détermination des villes à poursuivre leur politique d’apaisement de la circulation.
À l’échelon fédéral, la motion Schilliger (PLR et membre du directoire du TCS), soutenue par le conseiller fédéral Albert Rösti (UDC) et adoptée par les Chambres, vise à restreindre la marge de manœuvre des collectivités en matière de limitations de vitesse. Un projet de modification de l’Ordonnance sur la signalisation routière (OSR) est en cours. Comme pour l’Italie, le conseiller fédéral cherche à limiter l’autonomie des communes, sans modifier la loi pour éviter un vote du parlement et un référendum éventuel. Une consultation officielle est annoncée pour 2025.
Et ailleurs en Europe ?
La politisation du 30 km/h dépasse les frontières suisses.
En Italie, le ministre des Transports Matteo Salvini (Lega, droite extrême) s’oppose farouchement à toute réduction généralisée de la vitesse. Il a modifié le Code de la route pour entraver la mise en œuvre des zones 30, allant jusqu’à interdire les radars dans ces zones.
Bologne, ville 30 un après : tous les feux sont au vert
Malgré cela, la ville de Bologne a généralisé avec un grand succès le 30 km/h sur l’essentiel de son réseau urbain.

Bologne ville 30, le périphérique à l’approche de la gare centrale devient un axe 30 km/h (Rue de l’Avenir)
À Berlin, la CDU propose de revenir au 50 km/h sur certains axes, arguant que la pollution ayant baissé grâce aux zones 30, ces dernières ne seraient plus nécessaires – une logique pour le moins contestable.
Contrairement à ce qui est dit ou écrit, le 30 km/h permet de réduire la pollution de l’air Lire notre dossier
- Berlin : voir les résultats du projet pilote
- Londres : TFL (Transport for London), l’autorité organisatrice des transports à Londres a publié un rapport de 32 pages « Speed, émissions and health » qui résume les connaissances en la matière.
En Grande-Bretagne, les conservateurs ont, eux aussi, mené une campagne contre le 20 mph (équivalent du 30 km/h), notamment en Angleterre et au Pays de Galles. Ce positionnement ne les a pas aidés : ils ont subi un net revers lors des élections locales et nationales.
Les résistances politiques au 30 km/h ne doivent pas faire oublier que les tribunaux, les experts en sécurité routière, les organisations sanitaires et une majorité croissante de la population soutiennent ces mesures. Le bulletin Rue de l’Avenir 1/2025 revient en détail sur ces enjeux,
En complément de ce bulletin, nous revenons sur deux décisions clés du Tribunal fédéral à Berne et à Bâle.
NOUVEAU CADRE LÉGAL – LE TRIBUNAL FÉDÉRAL TIENT LE CAP
Depuis la révision de l’OSR, les décisions des autorités locales visant à abaisser la limite de la vitesse maximale à 30 km/h sont donc soumises à 2 réglementations différentes selon la fonction des axes routiers concernés :
- procédure simplifiée, dispensée d’expertise, pour l’instauration d’une zone 30 ou d’une zone de rencontre sur une « route secondaire non affectée à la circulation générale » ;
- procédure restant soumise aux conditions plus restrictives de l’art. 108 OSR, lorsqu’il s’agit d’un tronçon de « route affectée à la circulation générale ».
Cette différenciation explicite induit-elle un durcissement de la pratique concernant le réseau de niveau supérieur, particulièrement lorsque le but de la mesure est la réduction des atteintes excessives à l’environnement ?

Genève, bd du Pont d’Arve. la Cour de justice genevoise avait donné raison à la Ville de Genève qui demandait le 30 km/h nocturne, contre l’avis du Canton qui voulait garder le 50 km/h.
Éléments de réponse dans deux arrêts récents du Tribunal fédéral
Arrêt Bâle – Feldbergstrasse, du 07.07.2023 (1C_513/2022)
Le recours demandait l’annulation d’un arrêté de circulation de mars 2021 visant à limiter à 30 km/h un tronçon de route à orientation circulation (= « affectée à la circulation générale », selon l’OSR révisée). La mesure avait notamment pour objectif de réduire le bruit routier et la charge en polluants atmosphériques.
Entrée en vigueur dans l’intervalle, la procédure simplifiée ne pouvait donc être envisagée dans le cas d’espèce. Les requérants ont souligné les changements en cours, en citant des déclarations du Conseil fédéral indiquant que la limite de vitesse générale sur le réseau routier supérieur resterait fixée à 50 km/h. Les recourants en déduisaient un argument favorable à leur refus de principe d’une mise à 30 km/h d’un tel tronçon de route, en particulier pour des motifs de lutte contre le bruit.
Les juges fédéraux ont rejeté le recours en réfutant de manière détaillée les différents griefs formulés. Ce faisant, ils ont pleinement validé le rapport d’expertise qui concluait à la nécessité de la mesure, et confirmé ainsi les points suivants :
- la compétence des autorités locales pour ordonner des mesures de restriction de la circulation pour l’un des motifs qualifiés de l’art. 108 al. 2 OSR reste entière ;
- compte tenu des pesées d’intérêts complexes inhérentes à de telles mesures, l’autorité compétente dispose d’un large pouvoir d’appréciation, du fait de sa bonne connaissance des circonstances locales concrètes ;
- dans le cas d’espèce, les attentes en matière de diminution de bruit et de la pollution de l’air reposaient sur des données probantes, et la réduction de vitesse ne portait pas d’atteinte significative à la fonction de la route concernée, ni à la capacité d’ensemble du réseau routier à orientation circulation ;
- en tant que mesure rapidement réalisable, agissant à la source et peu coûteuse, la limitation à 30 km/h respectait donc le principe de proportionnalité
Lien : arrêt du TF du 7 juillet 2023 Recours Bâle Feldbergstrasse 30 km 2023 (en allemand) Bâle-Ville
Arrêt Berne – Elfen – et Brunnadernstrasse, du 15.03.2024 (ATF 150 II 444)
Il s’agissait là également d’un arrêté de circulation antérieur à la révision de l’OSR, mais ayant pour but d’étendre aux deux tronçons routiers concernés une zone 30 déjà existante. Les recourants s’y opposaient en soutenant qu’il s’agissait de routes à orientation trafic, ce que contestait la Ville de Berne. Les juges fédéraux ont ainsi dû se prononcer sur les conditions devant être respectées par la mesure de restriction de la circulation envisagée.
Après avoir précisé que le nouveau droit s’appliquait à la procédure en cours, et rappelé que le Tribunal fédéral examine librement si une réduction de la vitesse générale est admissible ou non, les juges ont analysé la distinction à opérer entre routes affectées ou non à la circulation générale. Relevant que l’introduction explicite de cette notion dans lOSR ne restreignait en rien la compétence cantonale/communale de modifier la fonction d’une route, ils ont donné raison à la Ville de Berne qui considérait que l’application ou non de la procédure simplifiée était à déterminer sur la base de l’état futur visé (Soll-Zustand), et non de la situation antérieure.
Les recourants critiquaient par ailleurs l’expertise fondant la décision communale : selon eux, le fait de mentionner les effets positifs que l’instauration de la zone 30 aurait sur la réduction du bruit routier aurait exigé d’évaluer si la pose d’un revêtement phonoabsorbant constituerait une mesure alternative à privilégier. Le Tribunal fédéral a rejeté cet argument, en relevant que la réduction de la vitesse maximale doit être évaluée dans le cadre d’une pesée globale des intérêts en jeu.
Dans le cas d’espèce, la Ville de Berne était tout à fait fondée à donner la préférence à la réduction de la vitesse générale par rapport à la pose d’un revêtement phonoabsorbant, car celui-ci n’aurait pas permis de prendre simultanément en considération les importants besoins de sécurité que l’expertise avait principalement mis au premier plan.
Lien : arrêt du TF du 15 mars 2024 Recours ville de Berne 30 km 2024 (allemand) Ville de Berne