Une offensive coordonnée pour recentraliser les décisions

Depuis trois ans, des actions convergent pour restreindre l’usage du 30 km/h en localité. Elles centralisent la décision au niveau supérieur, durcissent les critères d’abaissement, multiplient les recours, instrumentalisent des initiatives populaires et imposent des lectures restrictives des ordonnances.

30 km/h menacé (ATE Suisse)

Au niveau fédéral, la mise en œuvre de la motion 21.4516 Schilliger (PLR et membre du directoire du TCS) ancre le 50 km/h par défaut sur les « routes affectées à la circulation générale » et limite le 30 km/h à des cas d’exception plus étroits ; la consultation officielle est ouverte du 3 septembre au 5 décembre 2025 (procédure 2025/62). 

Au niveau cantonal/communal, des motions, moratoires et initiatives visent à retirer aux villes leur marge d’appréciation (p. ex. « Mobilitätsinitiative » de Zurich, critiquée par la ville de Zurich et Winterthour comme une entrave à l’autonomie municipale. 

Par les tribunaux, des organisations (principalement les clubs automobiles seuls ou avec d’autres) déposent des recours contre des mises à 30 km/h sur axes ; à ce stade, plusieurs décisions confirment la légalité de mesures liées au bruit ou à la sécurité routière (ex. Berne, Bâle, Winterthour). 

Par le lobbyisme/communication, des milieux économiques et automobiles relancent des arguments standard (priorité à la fluidité, revêtements phono-absorbants coûteux comme solution unique).

Axes principaux à 30 km/h : vingt ans d’avancées, un futur fragilisé

Né d’un cas pionnier à Köniz (Schwarzenburgstrasse), le « modèle bernois » montre qu’on peut faire cohabiter la circulation, les usages urbains et les traversées de localité à 30 km/h, y compris sur des axes cantonaux très fréquentés. L’exemple, longtemps isolé, a essaimé ces dix dernières années : partout en Suisse – villes et petites communes – des tronçons d’axes passent à 30, soutenus par des standards cantonaux. Loin d’un effet de mode, la mesure répond à un besoin documenté : réduire les vitesses, abaisser le bruit, élever la qualité urbaine. C’est précisément cette réalité de terrain que l’offensive actuelle tente d’inverser en réaffirmant la primauté abstraite du trafic sur toute autre considération locale.

La traversée du village de Bellevue a été requalifiée afin d’apaiser la circulation et d’améliorer le cadre de vie. La vitesse a été réduite à 30 km/h sur cet axe principal, de nouveaux arbres structurent l’espace, une piste cyclable sécurise les déplacements à vélo, tandis que le stationnement est organisé sur la berme centrale. Serait-elle encore possible avec le futur droit routier ? (Rue de l’Avenir)

Quand l’idéologie prend le pas sur les faits

Depuis les années 1980, la Suisse généralise le 30 km/h hors réseau principal et, depuis une décennie, l’applique par tronçons sur des axes majeurs. Les bénéfices (sécurité, bruit/santé, régularité du trafic) s’alignent sur les recommandations internationales. Malgré cela, l’offensive politique réduit la place laissée aux communes et transforme un outil éprouvé en totem polémique – alors que les projets 30 km/h s’inscrivent dans des concepts réseau, préservent la hiérarchie des axes (y compris les priorités TP) et évitent les reports de circulation dans les quartiers.

ville de Fribourg, 30 km/h sur un axe strucutrant  sur la route des Alpes (Rue de l’Avenir)

Ville de Fribourg L’avenue du Général-Guisant (axe structurant à 30 km/) comporte de nombreux ralentisseurs : seuils, rétrécissement, suppression de la bande médiane, feu qui reste au rouge quand il n’y a pas de voitures (Rue de l’Avenir)

Consultation fédérale 2025/62 – ce qui changerait

Base politique. Mise en œuvre de la motion 21.4516 via la révision de l’ OSR et adaptations de l’OPB.
Finalité. Maintenir le 50 km/h comme règle sur les axes « généraux », resserrer les conditions du 30 km/h (démonstration de non-report, priorité aux revêtements, motivation plus stricte pour l’assainissement du bruit routier).
Pour participer à l’enquête publique fédérale, il suffit de remplir le questionnaire en ligne.
Calendrier. Consultation 03.09–05.12.2025. 

Accidents en très forte hausse : un signal d’alarme

2019 → 2024 : +34 % de tués en Suisse, la plus forte détérioration parmi les 32 pays européens, quand l’UE-27 baisse de 12 % sur la période. En 2024, la Suisse compte 250 morts (Chiffres BPA/OFROU), ; la trajectoire s’éloigne nettement des objectifs de la Confédération 2030 (100 morts) et même de l’étape 2025 (160).
Affaiblir le 30 km/h ciblé envoie un mauvais signal de sécurité. 

Classement européen des progrès en sécurité routière
Rapport de l’ETSC : pdf de 64 pages en anglais ETSC-2025-Annual report

Figure 2. Évolution relative du nombre de tués sur les routes entre 2019 et 2024.
(1) Estimations nationales provisoires utilisées pour 2024, les chiffres définitifs n’étant pas disponibles au moment de la publication du rapport.
(2) Pour le Royaume-Uni, le total 2024 correspond à la somme du chiffre provisoire pour la Grande-Bretagne (1 633) et du total pour l’Irlande du Nord (69) pour l’année civile 2024.
(3) Données provisoires de CARE. Le nombre annuel de décès au Luxembourg (LU) et à Malte (MT) est particulièrement faible et donc sujet à de fortes fluctuations annuelles. Les nombres annuels pour Chypre (CY) et l’Estonie (EE) sont relativement faibles et peuvent, de ce fait, être soumis à des fluctuations annuelles marquées. (ETSC)

Trop de vies perdues sur la route
Voir aussi l’analyse du BPA qui appellent à appliquer les mesures efficaces et rappellent la difficulté d’atteindre les objectifs sans volonté politique). 

Bruit routier : ne pas fragiliser la santé publique

La révision de la LPE (art. 22 & 24) va faciliter les constructions en zones exposées au bruit routier; l’entrée en vigueur de ces dispositions est annoncée pour le printemps 2026, après les ajustements OPB. L’objectif de la majorité du Parlement et du Conseil fédéral est d’éviter l’introduction du 30 km/h, sans tenir compte de la santé publique.

Radar antibruit à l’avenue Wendt (moyenne ceinture) à Genève le 11 juin 2020. L’office fédral n’a toujours pas validé la le radar anti-bruit (Rue de l’Avenir)

Les villes et cantons mettent en garde : un pilotage trop permissif dégrade la protection des riverains et ignore la hiérarchie des mesures (réduire à la source, dont la vitesse) que la Confédération elle-même recommande. Parallèlement, le Conseil fédéral prend acte (5.11.2025) de l’avancement du Plan national de mesures bruit, en rappelant que la lutte contre le bruit demeure une tâche permanente. 

Réaction des communes et des villes – une coalition inédite

  • Un front commun UVS + ACS. Près de 600 exécutifs communaux et municipaux, issus de toutes les régions et de tous les partis, ont signé une lettre ouverte adressée au conseiller fédéral Albert Rösti ainsi qu’à la Conférence des directeurs cantonaux des travaux publics.

Subsidiarité & efficacité :
« Décider localement, c’est agir vite et au meilleur coût. Les communes et les cantons ont déjà des garde-fous.

  • Elles demandent expressément que la Confédération et les cantons ne restreignent pas davantage la marge d’appréciation communale en matière de mesures de circulation. L’Association des Communes Suisses (ACS) et l’Union des Villes Suisses (UVS) portent ce message conjointement, ce qui est rare et donc politiquement très puissant.

Localisations des plus de 600 villes et communes qui ont signé l’appel au Conseil fédéral (Union des Villes Suisses)


Köniz (BE) – la preuve par l’exemple

Sur la Schwarzenburgstrasse, une artère très empruntée par les automobilistes, la commune inscrit l’axe en zone 30 et requalifie l’espace public : elle supprime les feux, remplace les passages piétons ponctuels par un médian franchissable qui organise la chaussée et guide les traversées, apaise les vitesses et rend la lecture de l’axe plus urbaine en multipliant les points de franchissement sûrs.

Köniz (BE) Schwarzenburgstrasse Zone 30 km-h sur un axe structurant (commune de Köniz)

Résultats. La vitesse médiane (v50) se stabilise autour de 29 km/h ; le bruit recule d’environ –2,5 dB de jour (davantage la nuit) ; le débit journalier reste de l’ordre de 18 000 véhicules, compatible avec la fonction d’axe.

Köniz (BE) Zone 30 en traversée de localité sur un axe principal (Rue de l’Avenir)

Enjeu. Un 30 km/h conçu et lisible, appuyé par un design de voirie cohérent, améliore la sécurité et apaise la traversée sans casser la hiérarchie du réseau ni la capacité de l’axe.

Voir l’abum de 67 photos « Köniz (Berne), la zone 30 de la Schwarzrnbugstrasse« 


Conclusion – Ce que la Rue de l’Avenir demande, en vertu de la sécurité, de la santé et de la participation citoyenne locale

  • Renoncer à modifier l’ordonnance fédérale (procédure 2025/62) qui complique inutilement la mise à 30 km/h sur axes en localité ; maintenir l’appréciation au cas par cas, là où le contexte (écoles, centralités, bruit, sinistralité) l’exige. 

  • Aligner les politiques fédérales sur ses propres objectifs 2030 en matière de sécurité routière et donner la priorité aux mesures au meilleur rapport coût-efficacité (30 km/h ciblés et contrôles). 

  • Protéger la santé publique : Dans la mise en œuvre de la LPE/OPB, assurer que le 30 km/h demeure une mesure de première ligne lorsque pertinent, et refuser tout affaiblissement de la protection des riverains et de la santé publique. 

  • Respecter l’autonomie communale (art. 50 Cst.) et le principe de subsidiarité, au cœur du système suisse : décider localement, c’est agir vite, cibler les solutions et optimiser les coûts publics – l’échelle communale connaît ses rues, ses usages, ses nuisances. 


Sources clés (sélection)

  • Consultation fédérale (mise en œuvre 21.4516) : communiqué et rapport explicatif. 

  • Sécurité routière : OFROU (bilan 2024) ; ETSC PIN 2025 (2019-2024 : CH +34 %, UE-27 − 12 %). 

  • Autonomie communale / art. 50 Cst. : Fedlex. 

  • Bruit : LPE/OPB (calendrier et positions), Plan national de mesures (05.11.2025). 

  • Lettre ouverte (≈ 600 communes) : UVS, swissinfo, RTS. 

  • Köniz – Schwarzenburgstrasse : fiche BAFU et documents techniques.