En voie de négociation, la tarification: une mesure complexe et source de conflits multiples.

Péage urbain de Londres, institué en 2003.

La tarification de la mobilité repose sur le principe: «pay as you use». Quiconque consomme des prestations de mobilité doit être incité à se soucier de ses coûts. La personne qui se déplace beaucoup paie davantage, conformément au principe de l’utilisateur payeur. L’objectif n’est pas de rendre la mobilité plus onéreuse, mais d’en modifier le financement. La tarification concerne aussi bien les transports privés que publics.

Le Conseil fédéral a lancé, en mai 2015, une procédure de consultation sur sa stratégie concernant la tarification de la mobilité. À fin décembre 2019, il a présenté sa feuille de route fixant les prochaines étapes de sa concrétisation. Deux axes sont privilégiés.

Le premier prévoit l’élaboration d’un concept en vue d’assurer le financement à long terme des infrastructures de transport. Il s’agira de remplacer l’impôt sur les huiles minérales, la vignette et l’impôt cantonal sur les véhicules par une redevance liée aux prestations.

Pour le second, la Confédération veut créer les bases légales nécessaires à la mise en place de projets pilotes en matière de tarification de la mobilité, afin de permettre aux cantons et aux communes qui le souhaitent d’œuvrer dans ce sens.

Si le premier axe est toujours à l’étude, le second a été concrétisé par un avant-projet de loi fédérale sur les projets pilotes de tarification de la mobilité, mis en consultation jusqu’en mai.

La Confédération se limite à créer les conditions-cadres et à jouer un rôle de facilitateur. La loi ne fixe ni la conception ni le contenu de ces projets. À charge des cantons et des villes de les initier.

Son soutien financier prendra la forme d’une participation aux coûts opérationnels des projets (planification, réalisation, évaluation), mais aussi d’incitations financières destinées aux participants des projets. Le projet de loi doit être discuté aux Chambres fédérales, dont ce sera la première occasion de débattre de la tarification.

Projet pilote

En février 2020, la Confédération a pris contact avec les cantons et les villes pour connaître leur intérêt à participer à un projet pilote. De nombreuses idées ou ébauches de projet lui ont été remises de la part des cantons d’Argovie, de Bâle-Ville, de Genève, du Jura, de Thurgovie (Frauenfeld), du Valais et de Zoug, ainsi que des villes de Berne, Bienne, Delémont et Zurich.

La rapidité avec laquelle les projets se concrétiseront sera révélatrice de la réceptivité sociale et politique de la tarification de la mobilité. Cette dernière a-t-elle un avenir ? La feuille de route est, semble-t-il, respectée. Mais les travaux et consultations menés jusqu’à maintenant montrent que ses chances de concrétisation sont très faibles.

À cela trois raisons principales. Avant de pouvoir régler les modalités de son financement, la politique de mobilité ne fera pas l’économie d’un débat politique – qui sera très conflictuel – sur ses finalités; la taxation de la mobilité n’a guère de supporters; et sa mise en œuvre demandera des travaux d’hercule qui dureront des décennies.

Entrée de la ZTL de Turin avec contrôle électronique et reconnaissance automatisée des plaques minéralogiques. En service durant l’heure de pointe du matin 7.30 – 10.30 pour décourager les pendulaires

Choix politiques

En matière de mobilité, les choix sont d’abord de nature politique. Son prix ne peut être la finalité – ce n’est qu’un moyen – d’une politique des transports. Celle-ci doit être conçue en fonction d’une vision de développement territorial de la Suisse, vision qui fait défaut sous l’angle de la mobilité.

La mobilité est perçue comme un droit qu’il s’agit de satisfaire par une offre adéquate de transports tant privés que publics (DP 2091). C’est ainsi qu’elle a explosé au cours de ces dernières décennies et entraîné d’importants investissements et une hausse des coûts de fonctionnement.

Or on sait qu’investir dans les infrastructures génère automatiquement de nouveaux déplacements (DP 2137). Les goulets d’étranglement sont donc probables et les effets négatifs inévitables (pollution, accidents, mitage du territoire).

Mais la pandémie et la crise climatique suscitent de nouvelles interrogations au sujet de sa pratique. L’introduction du travail à domicile affecte les mouvements pendulaires. Les transports publics semblent perdre de leur attractivité. La mobilité douce a gagné en intérêt.

Se focaliser sur les aspects financiers de la mobilité en discutant sa tarification ne fera pas l’économie d’un débat sur ses finalités et sa place dans notre société.

La taxation n’enthousiasme personne

La stratégie fédérale vise à diminuer les pics d’affluence dans les transports, garantir leur financement à long terme et réduire l’impact du trafic sur l’environnement et la santé (coûts externes). Trois objectifs qu’il semble difficile de concilier. Aussi la Confédération a-t-elle abandonné le troisième, sans doute le plus coriace. Et les deux procédures de consultation ont bien révélé la divergence des points de vue.

Le lobby des automobilistes s’oppose catégoriquement à des augmentations de taxes dans les transports routiers, exigeant même que la taxation ne mène pas à un transfert modal vers les transports publics qu’ils jugent comme largement subventionnés. Pour lui, il faut au contraire développer et améliorer les infrastructures routières – création de troisièmes pistes et de nouvelles entrées autoroutières.

Infographie parue dans Le Temps du 23 avril 2021 « Le péage urbain divise la Suisse en deux« , basée sur les chiffres de McKinsey & Co

Quant aux adeptes des transports publics, il préconisent au contraire d’y attirer une nouvelle clientèle, sans mettre en danger des atouts comme l’abonnement général et le demi-tarif des CFF.

Les défenseurs de l’environnement, eux, plaident en faveur d’une tarification soucieuse de la protection du climat. Et pour les organisations de gauche, la taxation ne doit pas pénaliser les personnes socialement défavorisées ainsi que les pendulaires qui n’ont pas le choix de leurs heures de déplacement.

Titanesque mise en œuvre

Autre obstacle: la mise en œuvre de la tarification. Comme le signale le Conseil fédéral dans sa feuille de route, elle s’avère complexe et très longue. Quelques exemples.

D’abord, d’importants changements constitutionnels et juridiques sont nécessaires. C’est ainsi qu’il faudra modifier la Constitution fédérale pour permettre l’introduction d’une taxe pour l’utilisation des routes. La tarification implique la disparition de l’impôt cantonal sur les véhicules. Difficile d’imaginer les cantons accepter d’abandonner ces revenus. Les compagnies de transports publics perdront également leur autonomie en matière de fixation des tarifs.

Autant dire qu’il s’agira de modifications et de pertes de compétences qui vont engendrer de nombreux conflits. Et cette question cruciale des compétences n’est actuellement pas abordée. En effet, qui décidera du montant de la redevance ? Comment sera-t-elle calculée, selon des critères fédéraux ou cantonaux ?

Page reprise du magazine en ligne gratuit « Domaine public » selon les modalités de la licence Creative Commons.

Commentaire de Rue de l’Avenir

Ces expériences ont leur importance, car il importe de voir quelle mesure permettra de réduire le volume de circulation, et quelle sera leur acceptation.

Pendant ce temps là à Genève

Débat au Grand Conseil genevois le 15 octobre 2015 qui débouche sur l’envoi de la résolution 782 au Parlement fédéral

Comparaison spatiale de quelques péages urbains en Europe avec le cas de Genève

Comparaison spatiale du bureau RGR des péages urbains de Milan (ZTL), Göteborg, Londres, Stockholm et Oslo reportés à l’échelle de Genève

Genève rêve d’un péage urbain

Selon une étude commandée par le canton, l’instauration d’un «cordon» payant autour de la ceinture urbaine pourrait réduire le trafic de 75% au centre-ville et rapporter 130 millions de francs par an nous dit Le Temps du 11 février 2021.

Si son projet est retenu, le canton envisage d’instaurer des péages digitaux quasiment «invisibles» comme il en existe à Göteborg, en Suède, avec lecture automatique des plaques d’immatriculation par caméra, automatisation du processus d’enregistrement, de contrôle et de paiement. Pour l’heure, Genève se veut optimiste. «Fin novembre dernier, un premier retour du DETEC a souligné la qualité du projet de candidature notamment en termes de contenu technique et sur les éléments de planning», se réjouit Serge Dal Busco.

Projet de péage urbain pour le Grand Berne

Extrait de l’étude du canton de Berne présentée aux députés genevois lors des débats de 2015

Présentation du canton de Berne – Péage urbain à Berne 2015

Le cas de la Région Bruxelles Capitale

La Région bruxelloise étudie l’introduction « d’une tarification kilométrique intelligente pour la circulation automobile ».

L’ambition est de susciter une prise de conscience de chaque usager quant à ses habitudes de déplacement (choix du mode, moment du déplacement…) pour le pousser à rationaliser et à maîtriser ses choix de mobilité et encourager l’usage de mode(s) de déplacement adéquat(s) au bon moment et au bon endroit.
L’action se décline en mesures concrètes :

  • Introduire, de façon progressive, flexible et concertée à l’échelle nationale ou européenne, un système de tarification routière intelligente, permettant de moduler le prélèvement au nombre de kilomètres parcourus, à l’heure du déplacement et au type de voiries empruntées (ainsi qu’en fonction de l’impact environnemental du véhicule) ;
  • Développer et exploiter l’ensemble des technologies disponibles et à venir (LEZ au niveau régional, Viapass au niveau interrégional…) pour implémenter une fiscalité intelligente qui opère notamment une modulation de la tarification en fonction de l’utilisation du véhicule, en remplacement total ou partiel de la fiscalité applicable à leur possession, ou toute autre mesure concourant aux objectifs précités ;
  • Equilibrer les dépenses pour les Bruxellois par des mesures d’accompagnement fiscales appropriées (subsides, primes au logement, incitants immobiliers pour les entreprises, primes pour livraisons à vélo) afin de contrebalancer les impacts socio-économiques non désirés ;
    Développer une tarification intégrée des réseaux de transport public en vue d’optimiser l’intermodalité et l’usage combiné des différents réseaux de transport public, d’optimiser l’utilisation des ressources (infrastructure, matériel roulant).

Source : Plan régional de mobilité, mesure D4 Voir notre page sur la Région bruxelloise