Face à l’accélération des rythmes de vie et aux excès du tourisme de masse, une autre façon de voyager émerge : le tourisme doux, en anglais « slow tourism ». Il s’agit de prendre le temps de se déplacer et de se ressourcer en étant plus respectueux de l’environnement et des territoires d’accueil. Une pratique qui vise une transformation profonde de l’expérience touristique.

Via Jacobi, nom du chemin de Saint-Jacques de Compostelle en Suisse., dans l’Oberland bernois. (Rue de l’Avenir)

Les vacances,et les voyages qui y sont associés sont un plaisir recherché par nombre d’entre nous. À l’échelle planétaire, on observe une progression annuelle moyenne du tourisme international de + 5 % depuis plusieurs décennies (hors période Covid). À ce volume viennent s’ajouter les touristes nationaux et les excursionnistes (visiteurs se déplaçant à la journée). L’histoire nous montre que l’industrie touristique est résiliente et capable d’absorber les crises, à l’image du rebond observé après la pandémie de Covid. La France est par ailleurs la première destination mondiale, avec 100 millions de visiteurs internationaux.

En parallèle de cette hausse des voyages, émerge le slow tourisme – littéralement, « tourisme lent, mais plus spécifiquement tourisme doux », qui promeut un ralentissement radical pour compenser l’accélération des rythmes de vie, marqués par une multiplication des activités professionnelles et personnelles et par des contraintes temporelles.

La pratique touristique devient l’occasion de se ressourcer. Séjours méditatifs dans des monastères, randonnées en montagne ou navigation sur les canaux français illustrent cette recherche d’apaisement.

À l’origine, le mouvement Slow (Mouvement doux) est né en Italie, dans les années 1980, pour défendre le recours aux productions culinaires locales. Il prône, par extension, un réapprentissage de la lenteur, notamment dans les modes de transports, associé à des pratiques plus écoresponsables.

Le mouvement « doux » (angl. slow movement, appelé aussi slow attitude) prône une transition culturelle vers le ralentissement de notre rythme de vie, l’adoucissement des pressions modernes et l’appréciation des choses simples. Il s’oppose à un nombre de tendances qu’a vues naître le xxe siècle, telles que la restauration rapide (et donc la malbouffe), le tourisme de masse, l’hyperconnexion, la consommation démesurée… Le mouvement embrasse un nombre de priorités au-delà de son sens de base, notamment l’amoindrissement de notre impact sur l’environnement et la simplicité dans un monde de plus en plus complexe (…)
Déclinaison sur le thème : slow food ou écogastronomie, mobilité douce, parentalité douce, etc.
Wikipedia

Car le tourisme peut effectivement s’avérer dommageable pour les milieux naturels et pour les populations locales. La médiatisation du surtourisme dans les destinations les plus populaires, de Barcelone (Espagne) à Naples (Italie), en passant par Lisbonne (Portugal), a mis en lumière l’ampleur de ses effets délétères : dégradation de l’environnement, exclusion des populations locales, etc.

Chemin de St-Jacques-de-Compostelle, en Suisse en direction de Fribourg (Rue de l’Avenir)

Tourisme du « temps choisi »

Le ministère français de l’Économie définit le tourisme doux comme

« [un] tourisme du temps choisi, garant d’un ressourcement de l’être (pause, déconnexion, lâcher-prise, mais aussi bien-être, temps pour soi, santé), peu émetteur de CO2, respectant l’écosystème du territoire d’accueil, synonyme de patience, de sérénité, d’enrichissement culturel ».

Cette définition en facilite la reconnaissance et met en avant les quatre dimensions structurantes du tourisme doux : un mode de transport, un rapport au territoire, au temps, et à soi.

Le tram du littoral longe la mer du Nord (Flandre occidentale) sur plus de 50 km

Concernant le mode de transport, le tourisme doux s’appuie sur des mobilités décarbonées : train, transport pédestre, navigation fluviale. Des mobilités prisées, comme on peut le voir avec la hausse de fréquentation des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, ou celle des trajets ferroviaires. Ainsi, la fréquentation des trains de voyageurs en France a atteint un record en 2024, avec une progression de 6 % par rapport à 2023.

Du côté des pouvoirs publics, on relève des investissements en ce sens : voies cyclables aussi bien locales qu’européennes (Véloroutes), développement de l’offre de trains de nuit ; tandis que des fédérations ou des associations mènent des actions pour entretenir des dispositifs existants (entretien des chemins de randonnée et des refuges par la Fédération française des clubs alpins et de montagne).

Conscients de cette aspiration émergente, les acteurs du tourisme se sont aussi saisis du concept. Se développent ainsi des offres de produits plus durables proposées par des prestataires privés : croisières à voile, voyages d’aventure combinant plusieurs modes de transport ou de déplacement sans avion.

Car le rapport au territoire constitue une autre caractéristique importante du tourisme doux. Il s’agit de mesurer l’impact de sa pratique touristique sur l’écosystème et sur les cultures locales et de valoriser des séjours centrés sur l’expérience et non sur la consommation d’une infrastructure façonnée pour le touriste.

La Strada alta della Levantina, itinéraire pédestre sur les hauts de la vallée de la Léventine (Tessin) entre Airolo et Biasca (Rue de l’Avenir)

Déconnexion bénéfique

Le temps du tourisme doux, c’est celui du ralentissement, ce que Katharina C. Husemann et Giana M. Eckhardt, chercheuses en marketing, désignent par le « besoin croissant de décélération », dans leur étude ethnographique du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, à savoir un temps où l’on est moins soumis aux événements et sollicitations.

Les adeptes du tourisme doux se réapproprient ce rythme apaisé, comme l’illustre ce témoignage d’un randonneur, recueilli au cours de l’une de nos recherches sur les refuges en montagne dans le massif des Écrins (Alpes françaises), en 2019 :

« Ici, c’est un rythme complètement différent parce que, quand je suis en bas, je suis quand même un minimum le rythme, les jours de la semaine, je sais quand c’est le week-end, par exemple, et dès que je suis en refuge, j’oublie complètement dans quelle temporalité on est. Je ne planifie plus ce que je dois faire : je dois juste manger, dormir et rebelote […] et du coup, y’a pas d’autre but que juste marcher et arriver là où on veut arriver. »

Ce retour à la lenteur valorise le trajet lui-même. Il n’est plus perçu uniquement comme un moyen d’atteindre une destination, mais comme une expérience à part entière. Cette lenteur imposée par le voyage choisi induit également une déconnexion bénéfique vis-à-vis des écrans, des obligations, du brouhaha quotidien, comme l’exprime cet autre témoignage :

Via Francigena

« Pour moi, ça coupe vraiment de la routine, on n’est pas chez soi, on ne se donne pas d’obligations à faire ceci, cela, là on a juste à mettre les pieds sous la table comme on dit, et puis faire sa petite toilette, se promener, regarder le paysage, respirer, ça fait trop du bien quoi. »

Le tourisme doux est aussi un temps de réflexion sur soi. Il s’agit de réinterroger ce que l’on cherche en voyageant, de redonner place à l’ennui, de penser autrement sa vie, voire de revisiter ses priorités.

Cette expérience passe également par le corps : marcher, pédaler, ramer, camper. Loin des mobilités rapides, le voyage devient une expérience sensorielle, physique et méditative ; une façon de revenir à l’essentiel, de redécouvrir des plaisirs simples, loin du tumulte et de l’injonction d’efficacité du monde moderne.

Le cyclotourisme, incarnation du tourisme doux

L’essor du cyclotourisme est emblématique de cet attrait pour une autre manière de voyager. Sa pratique est en forte augmentation sur le marché français : évalué à 7,9 milliards de dollars (USD) en 2024 (7,27 milliards d’euros), il devrait croître de plus de 11 % par an d’ici à 2033. Ce mode de déplacement, mêlant effort physique et itinérance libre en immersion, séduit par sa capacité à faire du trajet un moment existentiel.

Col du Grand-Saint-Bernard, Valais (Rue de l’Avenir)

Au-delà de ces chiffres, certains récits de cyclo-voyageurs, (issus de blogues et de forums) récoltés dans le cadre d’une recherche doctorale en cours révèlent une expérience d’autonomie radicale :

« J’aime beaucoup l’improvisation, j’aime beaucoup les chemins hors sentiers battus… Peu importe où ça mène, je les prends. »

Ce que certains appellent la « magie du chemin » relève ici d’une transformation intérieure liée à la lenteur, au silence, à la nature.

Cette philosophie du voyage lent, sobre, sensoriel, est souvent décrite comme une manière de « se recentrer », de « ralentir », ou de « réapprendre à vivre ». Loin d’un simple loisir, le cyclotourisme est pour ces voyageurs une forme d’existence en mouvement.

En somme, le tourisme doux ne se résume pas à une pratique écologique ou à un mode de déplacement. Il exprime une volonté de redonner du sens au voyage, en le replaçant dans un rapport spécifique au temps, au territoire et à soi.

À l’ère de l’éco-anxiété, le tourisme doux trouve une résonance. Et si l’avenir du tourisme ne consistait plus à aller plus vite ou plus loin, mais à être plus présent ?

Auteur-es :

  1. Doctorant en Sciences de Gestion à l’Université Bourgogne Europe, Université Bourgogne Europe

  2. Maître de Conférences HDR – Comportement du Consommateur, Université Bourgogne Europe

  3. Professeur des Universités en Sciences de Gestion

Sources :

  • Texte : The Conversation
  • Illustrations : Rue de l’Avenir
  • Le paragraphe sur le « Mouvement doux » (Wikiepedia) a été ajouté par Rue de l’Avenir