Face aux difficultés de leurs commerces, de nombreux centres-villes cherchent à se réinventer pour offrir des espaces plus apaisés et agréables pour les visiteurs : piétonnisations, généralisation du 30 km/h, réduction du stationnement en voirie…

Après s’être développées dans la plupart des grandes villes, ces initiatives commencent à toucher les villes moyennes.

Zone de rencontre de la Grand Place à Lille (Photo Rue de l’Avenir)

Et partout on voit revenir les mêmes craintes des commerçants pour leur chiffre d’affaire. Ceux-ci ayant tendance à surestimer l’importance des automobilistes parmi les clients du centre-ville, les commerçants sont généralement les principaux opposants à ces projets de requalification de l’espace public.

Pourtant, des études ont montré que les automobilistes sont en réalité très minoritaires dans l’accès au centre des grandes villes et de très nombreux exemples nous montrent que les villes ayant osé réduire l’omniprésence de la voiture sont celles dont le commerce de centre-ville se porte le mieux. J’avais eu l’occasion de détailler l’ensemble de ces éléments dans un précédent article. Une des propositions que je formulais était de réaliser des enquêtes simples auprès des personnes qui fréquentent les centres-villes afin d’obtenir enfin des données objectives : comment se déplacent-elles ? D’où viennent-elles ? Quelle est leur opinion sur les mesures d’apaisement de l’espace public mises en place par la municipalité ? Quelles options d’aménagement leur semblent les plus pertinentes ?…

Centre-ville de Lille (Photo Rue de l’Avenir)

Afin d’obtenir des données détaillées sur une grande ville française, mais également de tester une méthodologie et un questionnaire d’enquête reproductible, j’ai proposé d’encadrer des étudiants de l’Institut d’études politiques de Lille (Sciences po Lille). 3 étudiants de dernière année (Camille Palichleb, Michel Gutierrez et Jean-François Collec) ont ainsi mené une enquête de terrain en octobre 2021 dans différentes zones du centre-ville de Lille (quartiers Vieux-Lille, Rihour et Wazemmes), et obtenu 220 réponses de clients du centre-ville au questionnaire. Il est important de noter que l’union des commerçants a été impliquée dans la construction de l’étude : une réunion a été organisée avec la Présidente de la Fédération Indépendante des Commerces de la Métropole Européenne de Lille (FICOMEL). Ceci a permis de modifier et valider le questionnaire et de définir conjointement les rues dans lesquelles réaliser l’enquête. Une seconde enquête a été menée dans la ville de Saint-Omer (14 300 habitants) dans le Pas-de-Calais, avec 127 réponses collectées. Ces 2 enquêtes ont fait l’objet d’une analyse détaillée au sein d’un rapport d’étude (disponible en téléchargement ici). Le questionnaire y est disponible en annexe et la méthodologie est réutilisable pour d’autres villes. Nous allons focaliser ici sur l’enquête menée à Lille, qui fait ressortir 5 enseignements particulièrement intéressants.

Enseignement n°1 : les clients viennent avant tout à pied, l’automobile représente moins d’un quart des déplacements

Près de la moitié des clients accèdent au centre-ville à pied (42%), alors que seulement 21% ont utilisé la voiture. Les utilisateurs des transports collectifs représentent une part supérieure aux automobilistes, avec 28% (21% les transports collectifs urbains et 7% le train), et le vélo 5%. Ces chiffres sont cohérents avec les données du CEREMA selon lesquelles en moyenne dans les villes de plus de 100 000 habitants, 24% des clients se rendent dans les commerces en voiture, et 64% à pied.

Moyen de transport utilisé par les clients du centre-ville à Lille

Moyen de transport utilisé par les clients du centre-ville à Lille

Ces chiffres permettent de relativiser l’importance de la voiture dans la fréquentation du centre-ville et démentir l’adage éculé du « No parking no business ». Lorsqu’on regarde la provenance des clients, on se rend compte qu’une autre idée-reçue, qui voudrait que le centre-ville attire avant tout des personnes qui viennent de loin, est fausse. En effet, 63% des clients viennent de la ville de Lille, et 6% de la première couronne lilloise (ce qui correspond à un rayon de 5 km environ).

Enseignement n°2 : les automobilistes sont peu dépendants de la voiture et disposent de nombreuses alternatives

Non seulement les automobilistes sont relativement peu nombreux parmi les clients du centre-ville, mais ils disposent, pour la plupart, d’alternatives et les utilisent fréquemment. Parmi les personnes interrogées qui sont venues en voiture, 87% utilisent également d’autres moyens de transport pour venir au centre-ville : en particulier les transports collectifs ou le train (à 58%), mais viennent également à pied (16%) ou à vélo (13%).

Autres moyens de transports utilisés par les automobilistes

Autres moyens de transports utilisés par les automobilistes

D’ailleurs, s’ils n’avaient pas eu la possibilité de prendre la voiture le jour de l’enquête, 70% d’entre eux seraient tout de même venus et se seraient organisés pour prendre un autre moyen de transport.

Si vous n'aviez pas pu venir en voiture

Enseignement n°3 : les automobilistes jugent l’accès et le stationnement en centre-ville plutôt facile

Ici encore, une idée-reçue se trouve démentie : à écouter le discours médiatique et les prises de position des commerçants, il serait devenu extrêmement difficile d’accéder au centre-ville en voiture et d’y stationner. Or, lorsqu’on interroge les clients automobilistes, ils disent le contraire : 72% d’entre eux jugent que leur trajet pour venir dans le centre était facile ou très facile et 61% considèrent que les conditions de stationnement étaient faciles.

Facilité d'accès au centre-ville

Facilité d’accès au centre-ville

A noter que près de 90% des automobilistes déclarent utiliser un stationnement payant, soit en voirie (50%), soit dans un parking souterrain (39%), ce qui ne semble pas leur poser problème. Et 2 tiers des d’entre eux ont marché entre 5 et 10 minutes entre leur lieu de stationnement et leur destination.

Enseignement n°4 : les mesures d’apaisement et de rééquilibrage de l’espace public sont plébiscitées

Lorsqu’on interroge les clients sur la mesure qui serait prioritaire pour améliorer l’attractivité des commerces du centre-ville, 23% estiment qu’il faut faciliter la circulation et le stationnement automobile, mais 77% considèrent qu’il faut au contraire renforcer les mobilités alternatives et redistribuer l’espace public afin de le rendre plus apaisé et partagé. Ils réclament des transports collectifs plus efficaces ou gratuits (26% au total), de végétaliser (18%), davantage d’espace pour la marche ou le vélo (12% chacun) ou encore de réduire les nuisances du trafic motorisé (9%).

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Satisfaction vis-à-vis du 30 km/h et de la piétonnisation du samedi

Satisfaction vis-à-vis du 30 km/h et de la piétonnisation du samedi

Enfin, lorsqu’on interroge les personnes que leur perception du centre-ville par rapport à « il y a 3 ans » (c’est-à-dire avant la mise en place des principales mesures d’apaisement comme le 30 km/h ou la piétonnisation du samedi), on constate que :

  • 18% considère que c’est mieux aujourd’hui contre 8% qui pensent l’inverse (le reste considère que c’est pareil ou ne venaient pas)
  • 14% déclarent qu’elles viennent plus souvent contre 13% qui viennentt moins souvent (le reste vient autant qu’avant)

Enseignement n°5 : le besoin de rééquilibrage de l’espace public ne concerne pas uniquement les grandes villes

Concernant l’échantillon de Saint-Omer, ville de 14 300 habitants, les résultats sont assez différents concernant la mobilité des clients du centre-ville : 60% s’y rendent en voiture (on notera toutefois que même dans une petite ville, 38% y accèdent à pied), et la plupart ne disposent pas d’alternative puisque 77% déclarent qu’ils ne seraient pas venus s’ils n’avaient pas pu venir en voiture.

Cependant, malgré cette prédominance de la voiture, les personnes interrogées ont fait part d’une forte appétence pour développer les mobilités alternatives et rééquilibrer l’espace public. Si 39% des personnes interrogées pensent qu’il faut faciliter l’accès et le stationnement automobile, 55% considèrent qu’il faut prioritairement développer les alternatives et redistribuer l’espace : transports collectifs plus efficaces ou gratuits, trottoirs plus larges et moins encombrés, faciliter la pratique du vélo, végétaliser.

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Une méthodologie à reproduire

Mathieu Chassignet indique que cette enquête réalisée sur le terrain a permis d’obtenir des statistiques manquantes jusqu’à présent. « Les résultats montrent que la requalification de l’espace public pour le rendre plus partagé, apaisé et végétalisé correspond à une demande forte des clients. » déclare-t-il. L’ingénieur invite ceux qui le souhaitent à reproduire ce type d’étude dans d’autres villes. Selon-lui, il est important de mobiliser toutes les parties prenantes locales, en particulier les associations de commerçants et élus de la commune. Il met d’ailleurs à disposition le questionnaire complet, juste ici.

Retrouvez les résultats complets de l’étude sur le blogue de Mathieu Chassignet « Pour une mobilité durable et solidaire«  (via Alternatives économiques).

Source : blogue de Mathieu Chassignet « Pour une mobilité durable et solidaire«  (via Alternatives économiques)

Pour aller plus loin

  1. Note pour les commerçants : pendant les fêtes tous les acheteurs ne sont pas automobilistes
  2. Une analyse de rentabilisation complète pour convertir le stationnement en voies cyclables. Une méta-analyse de 12 études du monde entier
  3. Enquête : à Nancy la piétonisation est favorable aux commerces

Lille – Plan de la ville 30

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Lille ville 30