Il est de plus en plus rare de voir des enfants se promener ou jouer seuls dans l’espace public urbain. Face à cette évolution sociale, certaines villes s’efforcent de repenser leurs aménagements.

Bâle, zone de rencontre de la Bärensfelserstraase, première zone de rencontre de Suisse. (Rue de l’Avenir)

Il est de plus en plus rare de voir des enfants se promener seuls dans l’espace public en raison d’un urbanisme peu adapté à leurs besoins. Leur absence, voire leur rejet de certains espaces, est une réalité désormais reconnue. En témoigne la « une » du quotidien Libération du 19 février 2024 affichant le titre Moi, mioche et gênant, ou encore l’article du quotidien Le Monde mettant en lumière la prolifération des lieux « no kids ».

L’idée d’une ville pensée « à hauteur d’enfants » représente donc une perspective radicalement différente. Cette ambition, partagée par un nombre croissant de métropoles, s’efforce de répondre à divers enjeux urbains, notamment ceux liés à la mobilité et au vivre-ensemble. Comment caractériser cette approche novatrice qui pourrait façonner la ville de demain ?

Les défis de la ville à hauteur d’enfant

Définir la ville à hauteur d’enfants implique de considérer leurs besoins, leurs perspectives et leurs expériences dans la conception, la planification et la gestion des espaces urbains.

Comme l’explique dans la revue Mouvements Clément Rivière, sociologue et responsable scientifique du laboratoire Ville à Hauteur d’Enfant de Lille, ville pionnière en la matière :

« Cette démarche invite à penser la réappropriation enfantine de ces espaces à travers la remise en question de la place de l’automobile, la promotion de la mobilité autonome et du jeu libre, et la mise en œuvre d’une participation réelle des enfants à la fabrique de la ville ».

Une telle approche, globale par nature, implique une série de défis. Tout d’abord, l’accessibilité nécessite, par exemple, une signalétique « amicale » appropriée à l’âge des enfants et à leur taille, mais aussi une bonne répartition spatiale des écoles, des garderies, des bibliothèques, pour éviter un enclavement dont ils sont les premières victimes.

Ensuite, les enfants ont besoin de moyens de transport sûrs et adaptés pour se déplacer dans la ville. Des trottoirs larges, des espaces aménagés aux alentours des écoles, des pistes cyclables protégées et des transports en commun accessibles sont essentiels.

Copie d’écran de la vidéo « Des rues scolaires à Lille »

Lien vers la vidéo de 1′ 30 » « Des rues scolaires à Lille (2020) ».

Puis, la ville à hauteur d’enfants doit être inclusive pour permettre à tous les enfants de jouer dehors. Les espaces verts offrent des opportunités de découvrir la nature et de se détendre qui doivent être à la portée de tous.

Enfin, impliquer les enfants dans la prise de décision concernant leur environnement urbain leur donne un sentiment d’appartenance et renforce leur engagement civique. Depuis 1979 en France, des conseils d’enfants sont créés dans de très nombreuses collectivités locales comme autant d’outils pour penser un rôle accru des enfants dans les décisions et les modifications urbaines.

Une ambition politique

Pour inciter les enfants à jouer sur la rue, Bâle-Ville a développé un guide qui recense les jeux (oubliés) facilement réalisables sur la rue.

Le souci de repenser la ville à hauteur d’enfants n’est toutefois pas nouveau. Des collectivités locales ont fait de cette politique le levier d’une transformation sociale et urbaine, comme la métropole de Recife au Brésil avec son programme Urban95. Plus proche de nous, la ville de Bâle en Suisse a mis en œuvre avec « les yeux à 1m20 » un réaménagement global de la ville avec et pour les enfants.

Le Kinderbüro de Bâle-Ville a reçu le prix Rue de l’Avenir 2019

En France, depuis 2002, l’UNICEF France a développé un réseau de collectivités locales « amies des enfants » pour rendre effectifs les droits des enfants dans les espaces urbains. Plus de 246 villes et 16 intercommunalités font partie de ce réseau :

« Devenir une collectivité amie des enfants est un engagement politique à l’échelle d’un territoire et concerne l’ensemble des élus, des agents de la collectivité, des acteurs éducatifs partenaires, des habitants et bien entendu les enfants et les jeunes. Sur une mandature, les collectivités amies des enfants s’engagent dans cinq domaines : le bien-être, la non-discrimination et l’égalité, l’éducation, la participation et la sensibilisation aux droits de l’enfant ».

Des métropoles parmi lesquelles Nantes ou Rennes entendent placer les besoins des enfants au centre de leurs politiques publiques. Pour Lille, Lomme et Hellemmes, collectivités précurseuses en la matière, la mise en place d’un laboratoire de la ville à hauteur d’enfant permet de développer le pouvoir d’agir dans une ville à hauteur d’enfants et d’engager l’ensemble des habitants dans cette nouvelle approche.

Copie d’écran de la vidéo « Yvelines, ces villes amies des enfants »

Lien vers la vidéo de 2 minutes « Ces villes qui sont amies des enfants » (TV 78, 2019)

De son côté, Montpellier s’appuie sur l’initiative du sociologue italien Francesco Tonucci dont la ville, Fano, en Italie, a adopté toute une série de mesures concrètes permettant aux enfants de vivre pleinement l’espace urbain. Ainsi, en 2023, la commune de l’Hérault est devenue la première ville française à adhérer au réseau international « Ville des enfants » regroupant plus de 200 villes, qui travaille dans 16 pays à une (r) évolution urbaine par la ville des enfants.

Pour la Suisse, voir communes amies des enfants

Une approche éducative, inclusive et écologique

La fin de la toute-puissance automobile et la création de zones piétonnes où les enfants peuvent jouer en toute sécurité est une étape de cette évolution urbaine. Pontevedra en Espagne a fait de cette piétonisation et de la complémentarité des moyens de transport le levier de sa ville des enfants.

La ville adaptée aux enfants s’apprend en famille mais aussi entre usagers. Par exemple, avec la mise en place, comme à Fano, de commerces-relais marqués d’un logo dans lesquels les enfants savent qu’ils peuvent trouver de l’aide en cas de besoin pour demander leur chemin ou aller aux toilettes, contribuant à développer leur autonomie personnelle.


 Les enfants libres d’aller et venir seuls s’orienteront mieux à l’âge adulte


Barcelone. Superilôt de Sant Marti (Poblenou)
Le superilôt de Sant Marti connaît une fréquentation différenciée.
– À midi en semaine, ce sont les nombreux employés ou étudiants du quartier qui occupent l’espace public.
– À la fin de l’école, ce sont les enfants qui jouent et les parents qui discutent. La fréquentation baisse lorsque les grands bâtiments administratifs sont fermés ou hors horaire scolaire. (Rue de l’Avenir)

Installer des équipements de jeux, des bancs et des espaces verts permet de créer des environnements ludiques et attrayants comme le fait la ville de Barcelone avec ses superîlots. Les abords des écoles par des parvis ou espaces adaptés sont les premiers moyens pour familiariser les différents acteurs, enfants comme adultes, à une autre culture de la ville.

L’exemple des rues scolaires qui se multiplient en interdisant la circulation automobile pendant les périodes d’arrivées et de sorties des enfants sont des illustrations d’espaces sûrs, favorables à la santé, pratiques et éducatifs où se retrouvent enfants et parents.

Penser et mettre en œuvre la place des enfants dans la ville peut être un levier pour une ville durable. Il conviendra d’être vigilant à ne pas faire une ville pour quelques-uns, mais bien un espace public pour toutes et tous, des villes qui prennent en compte à la fois la singularité de chaque enfant et la volonté de créer une ville réellement inclusive.

Auteur

Sylvain Wagnon

Professeur des universités en sciences de l’éducation, Faculté d’éducation, Université de Montpellier

Source : The Conversation, France

 

 

Compléments pour la Suisse (photos et liens) par Rue de l’Avenir